COP 25 – La science a-t-elle son mot à dire pendant les négociations ?

Conférence de presse de Greta Thunberg et Luisa Neubaeur avec des membres du GIEC, Pavillon de la cryosphère, présentation d’Al Gore…. Les sciences du climat semblent bien représentées à la COP25, et plus personne ne prononce le mot « hoax ». Mais parle-t-on suffisamment des recommandations des scientifiques aux tables de négociation pour autant ?

 

#unitebehindthescience – conférence avec Greta Thunberg, Luisa Neubaeur et cinq scientifiques présent.e.s pour rappeler l’importance de la science et des recommandations de la communauté scientifique.

 

La science doit être au cœur des discussions

« Nous avons voulu créer cet événement [..] pour que la voix des scientifiques soit entendue ».  C’est ainsi que Greta Thunberg a commencé sa deuxième conférence devant les médias de la COP, avec Luisa Neusbauer. Les deux jeunes activistes ont choisi de laisser la parole à 5 scientifiques pendant une heure, devant les médias. Elles ont ainsi profité de leur notoriété pour mettre l’accent sur l’importance de la science, car selon elles, « la science n’est pas suffisamment présente aux négociations ».

Pourtant, la science est censée être au cœur des discussions. Si l’ONU a engagé tout le processus de négociations des COP, c’est pour agir face à un constat scientifique inquiétant. Ce constat, si vous êtes en train de lire cet article, vous le connaissez sûrement : le climat est en train de changer à une vitesse 50 à 100 fois plus rapide que les tendances passées, et ce à cause des émissions de gaz à effet de serre liés à l’activité humaine. Ce constat est aujourd’hui largement appuyé par le GIEC, qui a pour mission d’évaluer les risques liés au changement climatique.

Le GIEC publie régulièrement des rapports sur la progression du dérèglement climatique, et chaque rapport contient une partie sur les actions politiques à mener. Un résumé est même spécialement écrit pour les décideurs politiques. À la fin de ce résumé, des recommandations sur les mesures à prendre et des évaluations de leur impact avec les modèles du GIEC montrent clairement aux décideurs politique la voie à suivre.

 

Un exemple de recommandations générales du GIEC dans le domaine de l’énergie.

 

Un traitement inégal par les Etats

Et pourtant ce n’est pas celle qui est choisie par certains pays. Déjà par manque d’ambition : dans l’Accord de Paris, les pays signataires s’engagent à « contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels », et non 1,5 °C comme le recommandait le GIEC. Ensuite par manque de concrétisation : il y a encore un écart entre les objectifs et la réalité des actions, de nombreux pays ne tenant pas leurs engagements (cf Climat Action Tracker). Conséquence : les politiques environnementales actuelles (ou plutôt leur absence) mèneraient vers un réchauffement de 3,8°C environ d’ici 2100.

Pourquoi une telle différence ? Pourquoi les dirigeants ne prennent-ils pas davantage en compte les recommandations scientifiques, et comment certains peuvent-ils encore les nier aujourd’hui ? Et au-delà de la sphère politique, pourquoi une partie importante de la population n’est que peu sensible à ces questions ? Entre les intérêts individuels ou nationaux, les lobbys et le manque d’informations, chacun.e a son explication. Mais un des scientifiques invités par Greta et Luisa a donné un autre élément qui aide aussi à comprendre ce manque d’initiative.

Les climatologues ont choisi la température moyenne de la planète comme indicateur, car c’est le plus compréhensible par le public. Néanmoins, cet indicateur traduit mal toute l’ampleur du changement climatique. 1,5 ou 2 °C, cela ne représente pas grand-chose en termes d’écart, présenté ainsi, surtout quand nous sommes habitués à vivre des évolutions journalières de température de 10-20 °C. On oublie facilement qu’il s’agit d’une température moyenne à l’échelle de la planète, et cela signifie que les températures moyennes locales vont connaître des variations bien plus fortes, dépassant parfois les 10 degrés, avec toutes les conséquences que cela entraîne.

 

Le pavillon dédié à la cryosphère.

 

Comment remettre la science au centre des négociations ?

Pour prendre du recul sur ces chiffres, un des scientifiques invités a pris l’exemple de la dernière ère glaciaire, il y a 20 000 ans. La température moyenne était alors 4 à 5 °C plus bas par rapport à aujourd’hui, et le niveau de la mer 120 mètres en dessous du niveau actuel. Il n’a fallu qu’un réchauffement de 4-5 degrés, étalé sur 20 000 ans, pour que le climat devienne celui que nous connaissons aujourd’hui. Ces chiffres, s’ils font froid dans le dos (sans mauvais jeu de mot), permettent de mieux comprendre l’importance du dérèglement climatique actuel.

Les scientifiques reconnaissent également la difficulté de communiquer avec l’approche scientifique qui est la leur. Dans le milieu scientifique, tout doit être objectif ; seulement, un public non expert a besoin de plus de concret et de familier pour comprendre les chiffres et les théories. Il faut réussir à les traduire en image et en émotion, selon Valérie Masson Delmotte, co-présidente du groupement I du GIEC. Ces méthodes de communication des scientifiques, si elles sont absolument nécessaires, ne sont donc pas suffisantes pour bien informer le reste des citoyens.

Cette traduction en émotion, M. Al Gore l’a réussie lors de sa conférence, qu’il a présentée deux heures après celle de Greta et Luisa. Il liait à la fois les aspects scientifiques (modélisation du gulf stream, historique des émissions de GES..) et les aspects humains (photo et vidéo de catastrophe naturelle récentes..). Il fondait ainsi son discours sur la science pour se permettre ensuite d’aller plus loin. Son ton, très expressif, parfois accusateur, changeait des discours plus calmes des scientifiques : là où des scientifiques, deux heures plus tôt, mentionnaient uniquement le fait que les mesures prises ne permettent pas de rester en dessous des 2 °C, lui disait, point levé, que les négociateur.trice.s devaient assumer leurs responsabilités et être plus ambitieux.euses.

Deux approches donc, l’une plus objective et diplomate, l’autre plus engagée et touchante. Elles sont complémentaires et nécessaires, et j’espère simplement que les gouvernements des pays y seront sensibles. Et s’ils ne le sont pas suffisamment, alors, comme Greta et Luisa l’ont mentionné en clôture de leur conférence de presse, c’est notre devoir, à nous citoyen.ne.s, de leur rappeler leur responsabilité.

Article rédigé par Karine Watrin, étudiante observatrice à la COP 25 pour le REFEDD.