Le grand chantier de la rénovation énergétique du patrimoine immobilier universitaire

Les bâtiments universitaires sont souvent des passoires énergétiques. La rénovation énergétique est un levier incontournable pour réduire leur impact carbone et améliorer les conditions de formation des étudiant·e·s. Ces derniers en sont d’ailleurs conscient·e·s : dans la Consultation Nationale Étudiante 2020 il·elle·s placent la rénovation énergétique en troisième position des actions prioritaires sur leur campus.

Immense, vieillissant et énergivore : un parc immobilier universitaire à rénover

En France, on émet environ 90 millions de tonnes d’équivalent CO2 pour chauffer (ou refroidir) nos logements et lieux d’études ou de travail. En effet, le bâtiment représente 20% des émissions nationales de gaz à effet de serre ; c’est le deuxième poste d’émissions derrière les transports. 

Pour réduire ces émissions, il faut conjuguer la sobriété des usages avec une plus grande efficacité énergétique. Cette dernière implique notamment d’appliquer des normes plus strictes et de rénover le parc immobilier afin qu’il consomme moins d’énergie. Or, il est un parc immobilier qui nécessite une attention toute particulière : celui de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Celui-ci est encore largement détenu par l’État, qui en délègue la gestion à quelque 170 établissements : universités, écoles d’ingénieurs, etc. L’immobilier affecté à l’ESR représente 25 millions de mètres carrés, CROUS compris, soit un quart du patrimoine de l’État. Seule l’armée occupe une surface plus importante dans ce patrimoine dont l’efficacité énergétique est insuffisante. En témoignent les diagnostics de performance énergétique (DPE), qui attribuent à chaque bâtiment une étiquette allant de A, la meilleure, à G. Seulement 8% des bâtiments de l’État sont étiquetés A. Un quart sont en dessous de E. 

C’est que beaucoup de bâtiments de l’ESR ont été construits dans les années 1960, puis dans les années 1990-2000. Or, ces derniers ne sont pas plus performants, fait observer Julie Hernandez, cheffe de projet transition énergétique au ministère de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). Jean-Marc Ogier, président de l’université de la Rochelle, bâtie en 1993, confirme : “c’est le moment de réinvestir dans des travaux de gros entretien”.

Des moyens insuffisants pour atteindre les objectifs de rénovation énergétique

Il s’agit donc de rénover massivement et d’appliquer les obligations réglementaires. Le Décret Tertiaire prévoit notamment la réduction de 40% des consommations d’énergie d’ici 2030. Mais comment atteindre ces objectifs, et qui en est responsable, s’agissant des bâtiments de l’ESR ? “Chaque établissement est autonome depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU)”, rappelle Julie Hernandez. Les établissements reçoivent une dotation globale et la gèrent comme ils le souhaitent. Certes, le MESRI les accompagne, en leur suggérant notamment d’entretenir leur patrimoine au fur et à mesure. Mais “les ressources propres sont insuffisantes”, constate Jean-Marc Ogier. 

Pour permettre aux établissements de mener à bien leurs projets immobiliers, des financements complémentaires sont attribués. Les plus structurants sont accordés par le préfet via les Contrats de plan État-région (CPER). La prochaine génération de CPER prévoit 2 milliards d’euros pour la rénovation énergétique du patrimoine immobilier universitaire sur la période 2021-2027. D’autres crédits sont ponctuellement débloqués en faveur de l’efficacité énergétique. Avec l’opération Campus, lancée en 2009, 12 établissements comme Paris-Saclay ou le campus Condorcet ont bénéficié d’une enveloppe totale de 5 milliards pour bâtir des lieux d’études de grande qualité, notamment énergétique. Ces établissements se distinguent par de solides équipes en charge de l’immobilier. 

Un autre moyen de faire monter les universités en compétence sur l’immobilier, notamment en maîtrise de l’énergie, est de les rendre propriétaires de leur patrimoine. En 2014, une première vague d’universités est devenue propriétaire, par dévolution du patrimoine par l’État. Cela leur a permis de mettre plus facilement en place leurs projets d’immobilier et d’énergie, indique Julie Hernandez. D’autres universités vont devenir propriétaires, mais cette fois, sans dotation garantie par convention de dévolution. Ce qui souligne encore les difficultés à débloquer des fonds pour la rénovation énergétique. 

Le plan de relance, une aubaine pour la rénovation énergétique ?

Le plan de relance, dont 30 des 100 milliards sont destinés au financement de la transition écologique, va-t-il permettre d’accélérer la rénovation énergétique des universités ? 1,2 milliards sur 2 ans y seront consacrés, à comparer avec les 2 milliards sur 7 ans du CPER. C’est un financement sur un temps très court pour l’immobilier, qui témoigne de la volonté de résultats rapides. Cela explique que la capacité des établissements à faire les travaux sous 2 ans ait été l’un des deux principaux critères d’attribution. Ceux qui avaient déjà planifié des rénovations, avec des dossiers à jour, ont été avantagés. Le plan de relance finance trois types de projets permettant la réduction de consommation énergétique : les projets de moins d’1 million d’euros, comme le remplacement de fenêtres ; les projets de 1 à 10 millions, par exemple, d’isolation ; et les projets de rénovation globale nécessitant plus de 10 millions. 

Le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) qui avait demandé 367 millions pour mettre aux normes ses cités universitaires et en construire de nouvelles, en a reçu 253. Une bonne nouvelle pour les étudiant·e·s vivant en résidence. Mais les crédits débloqués ne suffisent pas à mener à bien tous les projets qu’il faudrait entreprendre. Et leur répartition, inégale, a fait des déçus. L’université de Bretagne, qui a reçu 4,9 millions sur les 80 demandés, a témoigné par son président d’un “fort sentiment d’abandon”. Le président de l’université de La Rochelle, qui regrette que son établissement n’ait reçu aucun financement pour la rénovation énergétique, met en évidence un paradoxe : “on a besoin de fonds d’amorçage pour générer les premiers investissements” ; “mais le plan de relance est dans une vision à très court terme”, incompatible avec des retours sur investissement “trop longs”, calculé à 60 ans pour l’université de La Rochelle. 

La rénovation énergétique, un sujet de fond dans lequel impliquer les étudiant·e·s

Même avec le plan de relance, les établissements sont encore loin d’atteindre leurs objectifs de réduction de consommation d’énergie. Ce qui les incite à innover, en nouant plus de partenariats locaux et inter(nationaux) et en impliquant tous les acteurs du campus, notamment les étudiant·e·s. Jean-Marc Ogier, qui porte une telle vision globale, entend corréler la stratégie de rénovation énergétique de l’université de La Rochelle avec la stratégie globale de l’établissement, qu’il préside depuis 2016. Il souhaite faire de l’université un « laboratoire géant” permettant d’aboutir à un “campus intelligent, éco-responsable, efficace sur la plan énergétique”. Concrètement, cela se traduirait par le renouvellement de la chaudière vieille de plus de 25 ans, en lien avec la Communauté urbaine et par l’équipement en capteurs des bâtiments, afin de suivre et ajuster les consommations en temps réel. Mais la sobriété énergétique n’est pas qu’un sujet technique. Le président de l’université de La Rochelle veut favoriser une recherche appliquée aux enjeux énergétiques et climatiques locaux, notamment les interfaces terre-mer. Et il n’y a pas que les étudiant·e·s-chercheus·e·s qui sont concerné·e·s. L’université de La Rochelle a pour ambition de mettre en place du nudge à destination des étudiant·e·s. Il s’agit de les inciter à maîtriser leur consommation, par des outils informatifs et des jeux. 

De même, la Conférence des présidents d’université (CPU) souhaite impliquer les étudiant·e·s dans son Programme Efficacité Energétique des Campus (PEEC) à 2030. L’ambition est de susciter une émulation entre étudiant·e·s, membres du personnel et partenaires de l’université, tendant vers la sobriété et l’efficacité énergétique. Là encore, Patrice Barbel rappelle qu’il faut aller “au-delà du technique”, “créer un imaginaire commun” en faisant travailler ensemble des étudiant.e.s en architecture, en domotique, etc. qui autrement, ne se seraient pas croisé·e·s. Julie Hernandez en arrive à la même conclusion : il faut associer tous les usagers à la gestion des bâtiments à l’échelle des établissements et partager les retours d’expérience au niveau national. 

Rédigé par Gabriel Goll & Anais Darenes

Sources :
https://le-reses.org/consultation-nationale-etudiante/
https://www.citepa.org/fr/2019_07_b3/
https://immobilier-etat.gouv.fr/nos-chiffres-cles
https://www.ecologie.gouv.fr/diagnostic-performance-energetique-dpe
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038812251/
https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/contrats-de-plan-etat-region
https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid54333/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid54333/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid54333/operation-campus-les-12-campus-d-excellence.html
https://www.economie.gouv.fr/presentation-plan-relance
https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/18/renovation-energetique-la-colere-du-president-de-l-universite-de-bretagne-occidentale_6063882_3224.html
https://www.univ-larochelle.fr/luniversite/espace-presse/communiques-de-presse/2020-2/communique-du-president-de-la-rochelle-universite/
http://www.cpu.fr/actualite/peec-2030-un-programme-ambitieux-defficacite-energetique-des-campus-a-lhorizon-2030/