Loi anti-gaspillage : une transition vers l’économie circulaire insuffisante

Promulguée le 10 février, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire (AGEC) est restée dans l’ombre de la crise sanitaire. Censée être le moteur de l’« accélération écologique du quinquennat », elle présente en effet des objectifs médiatiquement forts. Mais sa mise en pratique via des décrets d’application comporte des risques : ambition revue à la baisse, planification sur des années… la réforme profonde de nos modes de production et de consommation n’est pas à l’ordre du jour.

Économie linéaire vs économie circulaire

Créée en 1970, la notion d’économie circulaire ou « boucles fermées » est devenue très populaire ces dernières années en raison d’une prise de conscience des limites de notre modèle économique linéaire (extraire > produire > consommer > jeter). La surconsommation, conjuguée à la surpopulation de notre société, a des conséquences catastrophiques pour notre environnement : raréfaction des ressources naturelles, pollutions et émissions de gaz à effet de serre, ou encore multiplication des déchets. Incontestablement, le modèle est devenu obsolète et les chiffres sont là pour en témoigner : en 2019, dès le 29 juillet, nous avons dépassé la capacité annuelle de la planète à regénérer ses ressources et absorber ses déchets₁. Il faudrait ainsi 1,75 planète pour satisfaire les besoins de l’humanité et 2,7 planètes, si tout le monde vivait comme les Français₂. 

Pour combattre ce désastre écologique, il est nécessaire de changer notre système et de passer à une économie dite circulaire. Le concept s’inspire des écosystèmes naturels, et consiste à produire des biens et des services de manière durable en limitant la consommation, le gaspillage des ressources et la production des déchets. En d’autres termes, il s’agit de passer d’une société du tout jetable à un modèle économique en boucle, plus viable. Pour cela, différents leviers peuvent être actionnés : éco-conception, allongement de la durée de vie des produits, consommation responsable, recyclage, etc.

La prise de conscience collective de l’urgence climatique a permis à cette idée de se répandre jusqu’à la sphère politique. L’Union Européenne souhaite même faire de l’économie circulaire un pilier pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et réclame la même ambition aux États-membres. En écho, la France a établi une feuille de route sur l’économie circulaire (2018), puis a adopté, dans la continuité, la loi anti-gaspillage (2020). 

Décryptage de la loi : mesures phares et manquements

La Responsabilité des producteurs

Une des réformes les plus importante de la loi concerne la Responsabilité élargie des producteurs (REP), selon le principe du pollueur-payeur₃. La loi étend le périmètre de cette responsabilité à de nouvelles filières REP telles que le BTP dont les matériaux finissent bien souvent dans des dépôts sauvages. Cette mesure s’accompagne de l’installation de nouvelles déchetteries et la reprise gratuite des déchets en déchetteries, lorsqu’ils sont triés. 

Pour encourager les produits plus respectueux de l’environnement, la loi se sert du système d’éco-modulation comme d’un outil d’incitation. Concrètement, les producteurs versent une contribution financière à des éco-organismes pour gérer la fin de vie de leurs produits. Cette contribution bénéficiera d’un bonus si le produit respecte les critères environnementaux. A contrario, elle se verra augmentée d’un malus. Les pénalités de ce malus pourront aller jusqu’à 20% du prix de vente du produit. La loi a aussi rallongé la liste des critères en y intégrant la prévention via le réemploi, l’éco-conception, etc. Des précisions sont attendues pour que ces projets deviennent applicables et concrets, ce qui promet d’âpres négociations, en particulier sur la modification du cahier des charges REP. 

Sortir du plastique jetable d’ici 2040

La chasse au tout jetable est ouverte avec des objectifs ambitieux : mettre fin au plastique à usage unique d’ici 2040 et « tendre vers » 100% de plastiques recyclés d’ici 2025. Mais sans mesures coercitives, comme la création de quotas contraignants aux entreprises sur les emballages réutilisables, ou de mesures fiscales pour décourager rapidement l’achat de produits jetables et d’emballages, les objectifs nationaux de réduction de plastique risquent fort de ne jamais être atteints. 

Malgré tout, certaines décisions ont un impact direct : l’interdiction progressive de produits en plastiques nocifs pour l’environnement et la santé, l’obligation d’utiliser des emballages et de la vaisselle réutilisables pour les repas pris dans les établissements de restauration, ou encore l’interdiction des films plastiques pour les fruits et légumes. 

La loi encourage également les alternatives telles que la vente en vrac qui bénéficie enfin d’une reconnaissance juridique et d’un soutien. Le consommateur a le droit d’apporter son propre contenant réutilisable dans les commerces. En ce qui concerne la consigne, la décision de mettre en place un dispositif de consigne pour recyclage et réemploi a été repoussée à 2023. 

L’information du consommateur

Pour faciliter la transparence, la loi a créé une obligation d’information des consommateurs sur les caractéristiques environnementales des produits. L’ampleur de cette mesure sera déterminée par un décret précisant les produits concernés et la liste des informations. Le texte inclus aussi l’interdiction ou l’encadrement des termes « biodégradable », « respectueux de l’environnement « ou tout autre mention équivalente pour lutter contre le greenwashing.

Le tri est aussi un enjeu majeur de cette loi. Pour le rendre plus efficace, le Triman (petit logo précisant les règles de tri) est généralisé à tous les produits à l’exception des bouteilles de verre. L’harmonisation des consignes de tri sur tout le territoire sera aussi avancée à 2022. 

Mais miser uniquement sur la responsabilité des consommateurs vis-à-vis de leurs gestes d’achats est un pari risqué : risque de se perdre parmi la multiplication des informations et risque de dédouaner le producteur de ses responsabilités. 

Prolonger la durée de vie des produits et soutenir le réemploi solidaire

Dans le cadre de la lutte contre le gaspillage alimentaire, la loi durcit les sanctions et les objectifs ont été renforcés. Quant aux invendus non alimentaires neufs, leur destruction est maintenant interdite par principe, les entreprises devront donner ou recycler leurs produits. 

La loi s’attaque aussi à l’obsolescence programmée. Le déploiement d’un indice de réparabilité à partir de 2021, et de durabilité à partir de 2024 permettra à l’acheteur de savoir si le produit est plus ou moins facile à réparer. De plus, le consommateur bénéficiera d’une information sur la disponibilité des pièces détachées.

Enfin, la création d’un fonds de soutien, financé par les filières REP, sur le réemploi solidaire pour les recycleries, ressourceries et autres structures de l’économie solidaire fait également parti des mesures phares de la loi AGEC. 

Un projet de loi non abouti

Dans la mouvance européenne, la loi anti-gaspillage apporte des progrès significatifs dans ce qu’on appelle l’ « écologie du quotidien ». Les associations environnementales ont d’ailleurs joué un rôle clé pour rehausser l’ambition initiale du texte. Mais cela est-t-il suffisant ? 

Bon nombre de mesures doivent être complétées par décrets, ceux-ci détermineront aussi bien le degré d’ambition que le rythme de mise en œuvre. Cela laisse présager des reculs dans la mise en application et des dispositions revues à la baisse. Pour illustration, les travaux de ces décrets ont déjà pris du retard en conséquence de la crise sanitaire. 

Mais surtout le projet de loi est menacé par des acteurs comme le MEDEF ou les lobbys industriels, ceux du plastique en particulier. Ces derniers demandent à reporter certaines décisions, et font valoir des arguments de poids en temps de pandémie : l’hygiène et la sécurité. De même, le MEDEF souhaite ajourner d’un an des mesures concernant le volet REP, ce qui pourrait fragiliser les acteurs de l’économie solidaire déjà mis à mal par la crise. 

Au-delà de ces aspects, des critiques s’élèvent sur le contenu de la loi. Selon les Amis de la Terre, l’AGEC ne s’attaque pas « à la racine du problème », l’association regrette que la loi reste silencieuse sur le phénomène de surproduction dans de nombreux secteurs très émetteurs en carbone (textile, etc.). D’une manière générale, l’opinion des associations environnementales fait consensus : la loi passe à côté d’une réforme profonde de nos modes de productions et de consommations, seule solution à la réduction de moitié de nos gaz à effet de serre d’ici 2030 (préconisé par le GIEC). 

₁ Global Footprint Network

₂ Rapport OCDE Global Material Resources Outlook to 2060

Les producteurs sont responsables de la fin de vie de leurs produits

Article rédigé par Bérénice Rolland, Bénévole du REFEDD

Sources

Pour aller plus loin