La représentation des peuples autochtones à la COP

Les peuples autochtones sont représentés à la COP par plusieurs dirigeant.e.s d’associations de défense des droits des peuples autochtones, venu.e.s jusqu’à Madrid. La plus présente de ces associations est la COICA, regroupant les instances de défense des droits autochtones dans les neuf pays dont le territoire contient une partie de la forêt amazonienne – dont le Brésil, la Bolivie, la France. Les leader.euse.s autochtones, notamment ceux.celles de la COICA, prennent part à de nombreux « side events » au cours desquels ils.elles décrivent leurs luttes face au changement climatique et aux destructions environnementales. Cependant, les ravages dont ils.elles sont victimes et leurs difficiles rapports avec les gouvernements limitent leur présence à la COP et les confinent à intervenir au sein du cadre laissé à la société civile, et à s’adresser très majoritairement à nous, observateur.trice.s. 

 

 

Alerter sur leurs luttes

Ces side events sont d’abord pour les leaders autochtones l’occasion d’alerter sur leurs luttes, comme le fait Claudette Labonte, représentante des peuples autochtones de Guyane française à la COICA. Si certaines luttes autochtones sont relativement médiatisées, on ignore qu’en France, alors que cette dernière profite allègrement de la COP pour afficher sa prétendue ambition en matière climatique, les droits des peuples autochtones ne sont pas toujours respectés. 

D’une part, la constitution française affirmant que « la République est indivisible », avec une langue unique et des droits identiques pour tous, ne peut reconnaître l’autodétermination des peuples autochtones. Ainsi, la France est le seul pays de l’Amazonie n’ayant pas ratifié la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail prévoyant et encadrant l’autodétermination de ces derniers, car inconstitutionnelle, et ne souhaitant pas réformer la constitution pour changer cela. 

Par ailleurs, l’État français n’écoute pas les revendications des peuples guyanais, par exemple en laissant ouvertes des mines d’or alors même que celles-ci favorisent l’orpaillage clandestin. Les orpailleurs sont ensuite responsables de nombreux conflits armés dont sont victimes les autochtones. La seule tentative de l’État afin de réguler les armes en Amazonie a été la mise en place d’un permis de chasse, et non pas de port d’armes, qui encadre même la possession d’un arc. Pour l’obtenir, il faut être majeur et parler français. Évidemment, ceci se fait au mépris de la culture des autochtones, pour lesquels la chasse, enseignée dès six ans, âge où les enfants ne parlent encore que leur langue et n’ont pas appris le français à l’école, est un moyen majeur de substance. Par ailleurs, l’extraction de l’or se fait toujours au mercure, empoisonnant les rivières et dont on trouve des traces de plus en plus importantes dans le corps des enfants, menaçant très gravement leur santé.

La représentation lors des négociations

De manière plus générale, les peuples autochtones déclarent ne pas pouvoir espérer être représentés dans les instances internationales en tant que Parties. En effet, les Parties sont les signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CCNUCC) de 1992, ce qui ne peut pas être leur cas, faute d’entité représentative.

Même si leurs cultures et leurs modes de vie sont sans empreinte climatique et qu’ils contribuent très activement à la protection de l’environnement, ils sont les premières victimes des destructions faites et causées par d’autres sociétés, les nôtres. Il est avéré que les forêts sur les territoires des peuples autochtones sont moins dégradées et déforestées que celles qui sont déclarées en zones protégées par les États ! 

Le fonctionnement actuel de la COP les cantonne à déplorer les destructions dont ils sont victimes auprès de la société civile, sans espérer être jamais présents dans les négociations, dont ils sont absolument exclus. Ils revendiquent donc d’y être représentés en tant que Parties : ceci constituerait un changement de paradigme majeur, qui bouleverserait radicalement le résultat des négociations, et la nature et l’ambition des décisions qui pourraient être prises à la COP. 

Pour ne citer qu’un exemple, les peuples autochtones réclament en vain que soient financés les pertes et dommages, c’est-à-dire que les États développés contribuent financièrement à la réparation des destructions qu’ils causent chez les peuples autochtones. Pourtant, les pays développés, dont notamment la France, continuent toujours obstinément de refuser de contribuer, malgré l’évidence de leurs responsabilités.

Une plateforme de coopération entre les peuples indigènes du monde a été mise en place à la COP24 en 2018. Celle-ci a pour a pour but de faciliter la collaboration entre les Etats et les peuples autochtones et a réalisé 12 projets en un an. Véritable moyen d’action ou moyen de collaborer sans pour autant leur donner une place dans les négociations? Plusieurs opinions sont possibles. 

 

Les cosmovisions autochtones

En plus de présenter leurs luttes, les leaders autochtones sont présents à la COP pour décrire et présenter aux autres sociétés leurs cosmovisions, c’est-à-dire les liens qu’ils entretiennent avec les non-humains et le non-vivant.

Par exemple, lors d’un événement intitulé Sacred Earth, des chants sacrées ont été chantés en honneur à la Terre mère, Pacha Mama en langue Quechua. Plus généralement, les peuples autochtones ne partagent pas notre rapport au non-humain, en particulier la césure que nos sociétés établissent entre la nature et la culture humaine, comme décrit par l’anthropologue Philippe Descola dans Par delà nature et culture

Ainsi, selon la cosmologie du peuple Shuar des humains peuvent avoir des relations avec des animaux qui sont des relations familiales, comme être cousins, ou beaux-frères. Il n’y a donc pas de césure entre humain et non-humain, mais plutôt une continuité, du proche vers le lointain. La nature serait donc ce qui est lointain, et les représentants d’autres communautés, et les anthropologues peuvent être perçus comme beaucoup moins proches de la communauté qu’un jaguar ou une plante qui vivent à côté des habitations. 

Or, ces liens différents tissés avec le cosmos expliquent largement le fait que nos sociétés soient à ce point plus prédatrices que les sociétés autochtones, et les leaders autochtones affirment aujourd’hui que nos sociétés doivent s’inspirer des leurs, de leur rapport au cosmos, et changer leurs conceptions du monde. Sans cela, elles n’effectueront pas de transition environnementale efficace, se dissimulant toujours derrière des solutions jugées vaines et hypocrites, telles que le marché du carbone, ou la géo-ingénierie.

 

 

Marjolaine Lannes (REFEDD) et Léonard Ferdinand (ENS)