Partout, les étudiant·e·s se mobilisent pour intégrer les enjeux de transition écologique et sociale dans leur formation. Le REFEDD a interrogé six d’entre eux·elles et propose cinq conseils pour réveiller son cursus.
Permettre aux étudiant·e·s de comprendre dès la première année les grands enjeux environnementaux et sociétaux ; c’est la vision du cursus idéal portée par Corentin et deux autres étudiants de CentraleSupélec, où un cours de science du climat a été ajouté au tronc commun. Fondée sur un dialogue patiemment structuré, cette dynamique a ensuite inspiré une autre initiative à l’échelle des 5 écoles Centrale. Lancée au printemps 2020, cette dernière regroupe désormais 200 étudiant·e·s, alumni, profs et membres du personnel, comme l’explique Clément, de Centrale Lyon.
A l’Institut Mines-Télécom (IMT) quelques étudiant·e·s rassemblé·e·s à la COP1 étudiante sont à l’origine d’un mouvement similaire. Il·elle·s construisent avec la direction nationale de l’institut et avec l’administration de chacun des 8 établissements des “écoles exemplaires […] qui forment des ingénieurs-managers responsables et citoyens.”
À Sciences Po Toulouse, l’idée que l’action collective a beaucoup plus d’impact que des actions isolées est aussi au cœur de la démarche. Une tribune nationale publiée par le collectif écologiste inter-IEP, qui rassemble les associations écologistes de tous les Sciences Po de France et dont Camille fait partie, a notamment déclenché l’adoption par l’établissement d’un Plan Vert, suivi de la mise en place d’un comité mixte et de la nomination d’une chargée de la transition écologique.
Enfin, à Mines-ParisTech, Albertine, Quentin et sept autres élèves ont organisé un séminaire “ingénieur et transition écologique”, ouvert par Valérie Masson-Delmotte. L’équipe organisatrice a travaillé en lien avec la direction et en cohérence avec la récente fonte du cycle ingénieur, qui fait la part belle à la transition énergétique.
De nombreuses autres initiatives sont portées par les étudiant·e·s dans les établissements d’enseignement supérieur, afin que leurs cursus intègrent les enjeux de transition écologique ! Toi aussi, tu peux t’engager pour des formations en rapport avec les défis contemporains. Pour t’aider, voici 5 conseils tirés de l’expérience d’Albertine, Camille, Clément, Corentin, Paul et Quentin.
1. Tirer parti du contexte (si si, il est favorable)
Les établissements renouvellent régulièrement leurs cursus. Une opportunité saisie par Paul et les étudiant·e·s de l’IMT, qui ont pu “surfer sur l’intérêt prononcé de [leurs écoles] sur les sujets environnementaux”. Dans un contexte de renouveau, il·elle·s ont su tirer parti de la diversité des 8 écoles qui composent l’IMT. C’est dans un cadre similaire que le groupe de travail de Corentin a commencé ses démarches ; les cursus de 1A et 2A ayant été refondus suite à la fusion de Centrale et Supélec, ils se sont concentrés sur la troisième année.
Même schéma aux Mines. L’école a réalisé il y a deux ans une refonte de son cycle ingénieur. Désormais, le programme contient 12 crédits ECTS en lien avec les enjeux de transition dès la première année. Mais les promotions les plus anciennes, consultées, ne bénéficient pas de cette refonte. C’est ce qui a poussé Albertine, Quentin et d’autres à organiser un séminaire sur les enjeux de transition écologique pour les élèves de troisième année.
Autre atout, “la conscience des élèves et leur engagement ont augmenté ces dernières années” estime Corentin. Clément confirme : “on voit la différence. Les premières et deuxièmes années témoignent d’une forte évolution des mentalités. Les élèves mesurent la chance qu’il·elle·s ont d’être dans ces écoles et la responsabilité qui va avec”.
Enfin, n’oublions pas le cadre fixé par la loi Grenelle I. Elle impose à tous les établissements d’enseignement supérieur de formaliser un Plan Vert, mais ne sanctionne pas les manquements. “Très peu d’établissements le font”, rappelle Camille. Mais certains ont adopté le Plan Vert préparé par leurs étudiant·e·s. C’est ce qui s’est passé à Sciences Po Toulouse, où Camille a participé à la rédaction du Plan. L’un des quatre axes porte sur la nécessité de repenser les enseignements à l’aune des enjeux de la transition écologique.
2. Structurer le dialogue au sein de son établissement (et être patient)
Pour Corentin, il est primordial de “s’organiser et montrer qu’on est organisés”. Il l’illustre avec son engagement. Son projet d’innovation est à l’origine des démarches sur l’intégration des enjeux de transition écologique dans les cursus de CentraleSupélec. Au fil de l’année 2019, de plus en plus d’élèves se sont ajouté·e·s à la réflexion. Elle a été partagée dans des commissions, des conventions, et au comité de transition durable. Le dialogue s’est institutionnalisé, avec la mise en place d’un prof Référent Développement Durable et de délégué·e·s et suppléant·e·s élèves, par promotion et par campus. Après plusieurs mois, les étudiant·e·s ont créé le Groupe de Réflexion pour l’Intégration de la Transition Écologique dans le Cursus (GRITEC).
Dans un même souci de légitimité, Clément et Camille conseillent aussi de créer des comités mixtes et représentatifs. “Un portage par des étudiant·e·s seul·e·s n’aurait aucune légitimité” ajoute Camille. À Sciences Po Toulouse, un organe mixte a été créé en novembre 2020. Il est composé d’étudiant·e·s, de professeur·e·s, d’une personne de l’administration ainsi que d’Eugénie Peron Bodin, chargée de mission développement durable à l’Université fédérale de Toulouse-Midi-Pyrénées. Une chargée de la transition écologique a été nommée, Christel Cournil, professeure de droit.
Aux Mines aussi, les élèves participent aux 12 chantiers de refonte de l’établissement, conjointement avec les alumni, des hauts fonctionnaires et les entreprises partenaires. Représentatif et légitime, ce dialogue interne est cependant lent à mettre en place et à faire fonctionner. “Armez-vous mentalement” prévient Paul. “Car l’exercice est un marathon et non un sprint : il faut rester dans une démarche de co-construction et non d’opposition. Attention aussi à la frustration, l’inertie sera plus ou moins forte selon le contexte.” Clément confirme : “il faut accepter que les choses puissent prendre du temps”.
3. Susciter des mouvements d’ampleur nationale (l’union fait la force)
“Menez vos projets à différentes échelles” recommande Paul, en pensant au groupe IMT TforC (Pour les Transitions et Formations Citoyennes). En effet, “avoir un groupe de travail au sein de son école et un autre au niveau national n’est pas redondant, mais complémentaire”.
A ce sujet, Camille insiste sur l’impact de la publication de la tribune nationale “Pour des Sciences Po à la hauteur des enjeux écologiques”. Co-signée par une dizaine de personnalité·e·s et des associations nationales de jeunesses dont le REFEDD, la tribune a été relayée par 4 webmédias nationaux et a eu un très bon écho. Porteuse de 10 propositions, la tribune se voulait une réponse à l’appel à collaboration lancé par Sciences Po Saint-Germain-en-Laye. Par la suite, un collectif écologiste inter-IEP a été créé. C’était aussi une invitation à la collaboration entre élèves et administration, qui a mené à Toulouse à l’adoption du Plan Vert. “Avant la tribune, il y avait un comité de développement durable qui ne s’était jamais réuni !” indique Camille.
Du côté de Centrale aussi, la dynamique s’est propagée au niveau national. Pendant le premier confinement, Corentin a eu l’idée de faire collaborer les écoles Centrale pour avoir plus de poids. Il·elle·s sont désormais près de 200 élèves, diplômé·e·s, profs et membres du personnel rassemblé·e·s sur un groupe Discord dédié au projet. Quatre groupes travaillent sur le dialogue avec les institutions de l’enseignement supérieur, l’évolution des cursus, le dialogue avec l’administration, les partenariats et l’insertion professionnelle. Le but : identifier des interlocuteur·trice·s dans chaque école et partager les bonnes pratiques en matière de transition écologique.
Comme le résume Paul, “la mobilisation autour de l’enseignement supérieur pour l’intégration de ces enjeux au sein des cursus se renforce […] et ça se ressent partout. Objectif : point de bascule !”
4. S’appuyer sur l’existant (et il y en a !)
“Prendre conscience de ce qui existe pour ne pas créer de nouvelles choses” ; à CentraleSupélec, c’est par un état des lieux que la démarche a commencé. Une grille d’évaluation des cours de l’école a été renseignée. Le référent enseignant a demandé aux profs d’auto-évaluer le lien entre leur enseignement et les objectifs de développement durable (ODD).
Pour Camille aussi, la situation existante doit fonder la démarche. “On ne peut pas enlever comme ça des cours ou des profs”. A Sciences Po Toulouse, le premier chantier concerne l’évolution des enseignements. Il s’agit de voir avec le directeur d’études et les profs comment il·elle·s peuvent modifier leur cours, et si besoin, être formé·e·s. En complément, certains cours peuvent être remplacés selon les opportunités. Par exemple, après le départ à la retraite d’un prof d’économie, le directeur a contacté les réveilleur·euse·s de cursus pour leur proposer un CV. Il·elle·s ont approuvé le profil de ce prof, passé par Gaïa. Et il·elle·s ont beaucoup d’autres idées de cours et de profs !
En plus, nos interviewé·e·s recommandent unanimement les sondages auprès des élèves. Les enquêtes permettent de faire participer les étudiant·e·s à l’évolution de leur cursus. Elles servent aussi à se légitimer. A l’IMT, Paul raconte que sur “près de 1 800 étudiant·e·s sondé·e·s, plus de 80% souhaitaient intégrer davantage les enjeux environnementaux et sociétaux dans leur cursus”. Les chiffres par établissement de la Consultation Nationale Etudiante peuvent aussi fournir une assise solide.
On peut aussi s’inspirer de ce qui se fait ailleurs : Plans Verts, référentiels existants (ODD, Manuel de la Grande Transition…). Clément suit lui le partenariat entre l’INSA et le Shift Project qui vise à intégrer les enjeux de transition climat-énergie dans les formations. La démarche s’appuie sur les préconisations de la Commission des titres d’ingénieur et du guide des compétences DD&RS.
5. S’adresser au plus haut niveau (en toute transparence, avec les formes)
Une fois ces bases posées, il faut “identifier les gens qui décident” et viser à leur échelle. Corentin vous incite à “aller toquer ou envoyer un mail à [votre] directeur ou responsable de la stratégie”. “Faites-vous confiance : vous êtes légitimes”, renchérit Paul.
Pour mettre toutes les chances de votre côté, dites clairement à votre direction ce que vous voulez. Par exemple, les objectifs définis à l’échelle des écoles Centrale ont été aussitôt partagés aux administrations des 5 écoles. Même relation de transparence et donc de confiance entre l’administration des Mines et l’équipe organisatrice du séminaire “ingénieurs et transition écologique”. Albertine raconte que l’équipe avait comme interlocuteur direct le directeur des études : “nous l’avons régulièrement informé, mais nous n’avions pas de compte à rendre”.
De même, à Sciences Po Toulouse, les étudiant·e·s à l’initiative de la tribune ont prévenu leur direction de sa publication. Dans un mail, il·elle·s l’ont informée de leur envie de collaborer et ont annoncé l’envoi d’une proposition de Plan Vert. Un message clair et bien reçu, qui a permis à la dynamique nationale de s’enclencher ; désormais, le directeur toulousain préside l’inter-IEP et porte les propositions de la tribune. “Nous échangeons sans détour avec la direction”, assure Camille. Elle évoque par exemple les commentaires des élèves sur leur cours de développement durable, notion dont la remise en cause s’amplifie depuis le milieu des années 2000.
Et la sincérité ne doit pas empêcher de mettre les formes. Pour Corentin, si l’attitude militante est un moteur au quotidien, il faut “réussir à avoir un discours audible” au moment de solliciter la direction. Clément renchérit : “on a de l’énergie, on a envie d’aller vite”. Mais “mieux vaut se mettre dans le mood de l’administration. Le risque de se la mettre à dos est trop gros, il faut rester constructif”.
Article rédigé par Gabriel Goll.