Dans les articles précédents de cette série, nous avons vu les problèmes qui subsistent en terme d’injustice environnementale. Notamment au travers des cas de ségrégation environnementale au niveau national et international. Aussi, nous avons vu l’homogénéité, ou du moins, la non-mixité au coeur du mouvement climat, jeune et moins jeune.
Ici, au lieu de dénoncer un problème, nous aimerions plutôt nous focaliser sur les solutions qui existent pour sensibiliser et étendre l’écologisme à tous et toutes. L’écologisme devrait être inclusif et accessible à tous et toutes, pas seulement à une tranche privilégiée de la population. Il se doit donc d’évoluer et d’être populaire : prendre en compte les problématiques personnelles de chacun.es et les intégrer dans leur mode d’action afin de faire converger les luttes. Ne pas dissocier les combats sociétaux tels que le racisme, le féminisme ou les Gilets jaunes pour ne citer qu’eux, mais bien les rassembler. Pour reprendre le fameux slogan vu dans plusieurs marches citoyennes, il ne s’agit plus d’opposer “fin du monde et fin du mois”. C’est bien beau, mais comment faire ? Plus précisément, comment intégrer les personnes issues des milieux dits “populaires”, plus pauvres, dans les questions écologistes ?
Il est clair que l’ État a un rôle évident à jouer. Premièrement, dans la réduction des injustices environnementales en appliquant des politiques et des stratégies urbaines adéquates. Par exemple, il s’agirait de rendre les espaces verts accessibles aux quartiers plus défavorisés, mettre en place plus de pistes cyclables, etc. Mais aussi et surtout, il faudrait sensibiliser les populations marginalisées sur les problèmes environnementaux et les inégalités environnementales auxquelles elles font face. Cela passe par l’éducation formelle, à la maison ou à l’école où, dès le plus jeune âge, les élèves devraient être éduqué.es. Puis continuer à être formé.es sur ces sujets à l’université, peu importe le cursus et le type de formation. (#MakeOurLessonsGreenAgain) Mais aussi, au travers de l’éducation informelle : dans les associations sportives et culturelles par exemple, où l’éco-responsabilité devrait être mise en avant.
Vers une « écologie décoloniale »
Mais au fond, la vraie solution serait de décoloniser l’écologie. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Le problème principal de la non-mixité dans l’écologisme est lié au fait que les enjeux environnementaux sont complètement séparés des enjeux coloniaux comme le montre Malcolm Ferdinand, chercheur et écrivain d’“Une écologie Décoloniale”. L’absence flagrante de personnes racisé.es dans le mouvement écologiste dans les pays occidentaux a une cause historique commune : le colonialisme et le racisme. Malheureusement, nous avons encore trop de mal en Occident à accepter l’histoire coloniale et à la lier à d’autres concepts, dont l’écologie. Il est donc important de s’informer sur ces questions, je vous invite donc à soutenir le projet de reportage pour décoloniser l’écologie, ici en Martinique, de Jérémy et d’Annabelle : Décolonisons l’écologie.
Fatima Ouasakk, consultante en politiques publiques mais aussi militante antiraciste, féministe et écologiste notamment auprès de l’association Front de Mères, estime que la conscientisation des enjeux environnementaux et climatiques est bien présente dans les quartiers populaires. L’enjeu principal désormais est que les personnes issues de ces quartiers n’ont pas le pouvoir d’agir, ou du moins ne pense pas l’avoir. Mais pourquoi certain.es personnes seraient légitimes d’agir et pas d’autres ? Il faut d’abord s’approprier les espaces de vies, les espaces communs et montrer qu’ils sont là pour tous et toutes, et que chacun.e est légitime d’agir dessus. Finalement, la solution est claire et sous-jacente : elle doit partir des communautés elles-mêmes. Il s’agit de redonner le pouvoir, d’autonomiser et d’émanciper les régions du monde (notamment des dits “suds”) et les territoires locaux sur les problématiques écologistes.
Pour ce faire, nous pouvons montrer qu’il est possible de créer des projets en partant de ces propres problématiques et en travaillant avec ses voisin.es. Entre autres, c’est par exemple le concept anglo-saxon des community organizing, ou organisation communautaire, dans lesquelles les communautés se rassemblent et s’organisent au vu d’intérêts communs. Si les personnes mènent un projet sur un problème qui leur tient à coeur et qui leur est personnel, ils.elles seront forcément plus impliqué.es que si le projet leur était imposé. Par exemple, Front de mères, en rassemblant des mères des quartiers populaires de Bagnolet, et d’autres acteurs.trices politiques et associatifs, s’est focalisé sur les alternatives végétariennes à la cantine. Non sans difficultés, le collectif a réussi à mettre ce sujet dans l’agenda politique de la Mairie de Bagnolet.
Pour autant, un autre enjeu à fait surface : la réticence des politiques, des autres habitant.es mais aussi, des militants.es écologistes qui voyaient ces revendications d’un mauvais regard : trop communautaristes ou trop religieuses. Même si, en effet, ces revendications ont pu partir pour beaucoup de la question religieuse avec le faible choix pour les enfants musulmans, ou issu.es de familles de confession musulmane, dans les cantines, ce n’est pas la seule raison : la provenance de la viande, sa qualité, l’impact environnemental etc… sont autant d’arguments qui sont venu agrémenter cette lutte. Pour autant, parce que l’écologie est encore trop perçue comme un domaine réservé aux seul.es acteurs.trices écologistes conventionnels issu d’un seul groupe social (cf les analyses des marches pour le climat de Quantité Critique), ce projet a suscité beaucoup d’incompréhension. Au départ : il partait d’un problème qui leur était proche, les personnes ont réussi à se concentrer sur un même objectif et s’organiser en fonction, ce qui a permis au projet d’évoluer et d’aboutir. Il est certain que les acteurs.trices de ce beau projet ont gagné en confiance et en compétence, ont essaimé des idées au sein de leurs familles, de leurs amis. Puis, ils.elles ont pu s’approprier leur espace et mieux apréhender leur pouvoir d’agir.
Il ne s’agit pas de tendre vers une diversité dans le mouvement écologiste, mais plutôt à une diversité dans les mouvements écologistes : l’idée n’est pas d’ajouter des populations marginalisées au sein d’un écologisme général afin de le diversifier, mais bien d’accepter que ces mêmes populations marginalisées s’approprient les problématiques environnementales dans leurs communautés et résolvent celles-ci. Ce n’est pas une question de diversité mais d’égalité. Il s’agit de reprendre sa voix, de reprendre le pouvoir de la démocratie et d’agir pour soi et pour sa communauté. Mais pour être efficace et durable, cette égalité doit être accompagnée de partenariats viables, voire de solidarité : entre les différents acteurs.trices de la société civile d’abord, puis avec les instances publiques. Et cette idée de partenariat et de solidarité ne doit pas se cantonner au niveau national, elle doit être internationale. En effet, le mouvement écologiste international intègre peu les pays des “Suds”, d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, souvent en première ligne des conséquences des changements climatiques. Comme nous avons vu dans le premier article de cette série, c’est le cas des tribus autochtones de l’Amazonie qui se voient délocalisées, qui voient leur environnement détruit au profit de barrages hydrauliques créés pour augmenter les apports en énergie, augmenter la production et favoriser nos modes de vie occidentaux et capitalistes. Il s’agirait donc de décoloniser l’écologie à tous les niveaux.
Sources :
Projet de reportage : Décolonisons l’écologie Reporterre. (2019, juin 15). Fatima Ouassak : « Dans les quartiers populaires, l’écologie semble réservée aux classes moyennes et supérieures blanches ». à l’adresse https://reporterre.net/Fatima-Ouassak-Dans-les-quartiers-populaires-l-ecologie-semble-reservee-aux-classes
M.Ferdinand ( 2019), Une écologie décoloniale
Reporterre. (2019 26). Qui manifeste pour le climat ? Des sociologues répondent. https://reporterre.net/Qui-manifeste-pour-le-climat-Des-sociologues-repondent
Libération (2020): Le mouvement ppur le climat est moins générationnel que social https://www.liberation.fr/debats/2020/03/12/le-mouvement-pour-le-climat-est-moins-generationnel-que-social_1781475Débat : https://www.youtube.com/watch?v=HHOKanmMpFo
Article rédigé par Myllane, notre animatrice réseau à Lyon.