COP 25 – « L’article 6 », échec du multilatéralisme ?

Cette COP25 s’est terminée à Madrid avec presque deux jours de retard, les négociateur.trice.s cherchant jusqu’au bout à en tirer quelque chose, en vain. Aux yeux du monde – ou plutôt de celles et ceux qui arrivent à trouver des infos complètes -, cette COP est donc décevante. Mais déception ne doit pas être indifférence[1].

D’emblée on a qualifié ce 25ème rendez-vous de « COP technique », en contraste avec l’évènement de politique internationale que fut la COP21 à Paris en 2015. Pour rappel, en 2015 a été signé l’accord de Paris, traité international d’une petite trentaine de pages. Il enjoint les Etats Parties à formuler des Contributions Nationalement Déterminées (CND), se fixant ainsi un objectif national de participation à la réduction mondiale des gaz à effet de serre (GES), avec une obligation de communiquer régulièrement un inventaire de leurs émissions et des informations « nécessaires au suivi des progrès de chaque Partie […] dans la réalisation de sa CND ».

Pourtant, si depuis 2015 les COP se sont donc majoritairement limitées à la rédaction de règles mettant en œuvre les grands principes de ce traité international, nous savons que le diable se cache dans les détails. Or en matière de lutte pour le climat nombre de pays se trouvent être de beaux diables. Une COP « technique » ne mérite donc pas une moindre couverture médiatique, au contraire. Les négociations sur la mise en œuvre de l’Article 6 de l’accord de Paris en sont le parfait exemple.

 

Les délégué.e.s de coalitions différentes échangent de manière informelle durant l’arrêt d’une négociation demandé par le secrétariat, suite au blocage de l’Arabie Saoudite.

 

La mise en place des mécanismes financiers, vitale pour le succès de l’Accord de Paris

Cet article se trouve être vital pour le succès de la COP21 – mais surtout dans la lutte contre un réchauffement à +4°C –.

Il instaure des mécanismes financiers qui pourraient être les outils principaux des Etats dans leur objectif d’atteindre leurs CND. En particulier un 1er mécanisme (6.2) créant un commerce inter-étatique offrant la possibilité à un pays ayant atteint ses CND avec une certaine marge de vendre cette dernière à un pays tiers n’ayant pas satisfait ses ambitions de réduction. Un 2ème (6.4) crée quant à lui un marché financier de GES ouvert aux privés. Les entreprises privées y auraient ainsi accès en achetant des « crédits carbone » ayant pour objet de financer des projets peu émetteurs, compensant par ce moyen leurs propres émissions. A titre d’exemple, un grand distributeur pourrait compenser son bilan carbone dû à sa logistique en investissant via ce marché dans un barreau hydroélectrique qui n’aurait pas vu le jour autrement. Un système similaire existait entre 2008 et 2012 au niveau mondial[2] et existe au niveau européen[3].

Les faiblesses du processus de décision par consensus

Mais le processus de décision de ces négociations climatiques fait obstacle à l’application de l’article 6. Celle-ci devait en effet déjà être finalisée dans le Rule book de la COP24 à Katowice, mais les Etats Parties n’avaient pas su se mettre d’accord. La COP25 n’a pas connu de meilleure destinée.

Depuis l’origine de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) il est nécessaire d’obtenir un consensus entre les parties. Dans le cadre de l’accord de Paris ce sont 187 Etats dont on ne peut que souligner l’opposition d’intérêts. Cette nécessité bien malheureuse explique la lenteur des négociations qui nous fait perdre chaque jour un temps précieux au regard de l’urgence climatique. Or il faut savoir que ce mode de décision n’est pas inamovible mais découle d’une pratique due à l’absence de règle établie[4]. Plus précisément, en 1996 les Etats Parties à la CCNUCC avaient réussi à se mettre d’accord sur toute une série de règles de procédure, à une exception près. Laquelle ? La règle 42 relative au processus de décision… Cette règle qui proposait de décider par vote à la majorité des deux tiers pour certaines matières reste à l’état de brouillon (draft) depuis.

Quatre points de divergence en fin de négociation

À Madrid la semaine dernière, une telle règle aurait pu être très utile. Quatre points ont empêché de trouver un résultat positif :

  • le double-comptage des émissions « économisées » tant dans le pays d’accueil du projet que dans le pays investisseur (très efficace pour que chacun atteigne ses objectifs CND, nettement moins pour réduire effectivement les GES),
  • le transfert des émissions déjà économisées sous l’ancien système mondial dans le futur système (qui reporterait d’autant la création de nouveaux projets réducteurs d’émissions),
  • prélever dans le prix des unités carbone un montant (« share of proceeds ») pour le fond d’adaptation qui a pour but de financer les mesures d’adaptation au réchauffement climatique surtout dans les pays en développement (plus précisément la question se posait de prélever ces share tant dans le mécanisme de l’article 6.2 que dans celui du 6.4),
  • permettre une « overall mitigation in global emissions », c’est-à-dire une atténuation complète des émissions au niveau mondial et non pas le seul arrêt de l’augmentation de celles-ci. AOSIS (Alliance Of Small Island States) envisageait notamment d’insérer pour l’article 6.4 un mécanisme d’annulation automatique d’une partie du CO2 transféré (ainsi pour obtenir l’utilisation de 100 tCO2 l’investisseur devrait en acheter 120tonnes, soulageant par la même l’atmosphère d’un bénéfice net de 20 tCO2).

À ce propos, il est fascinant – désolant ? – de constater à quel point les différences d’opinions entre les Etats s’expliquent par leurs intérêts nationaux :

Le Brésil, pays qui accueillerait de nombreux projets serait très heureux de pouvoir les comptabiliser également dans sa réalisation de ses CND. Source.
S’agissant de la question des pertes et réparations des conséquences du réchauffement (hors Article 6 et touchant bien souvent les pays les moins développés), les Etats-Unis mais également l’Union Européenne s’opposent catégoriquement à la mise en place d’un système de responsabilité. Source.
Tandis que l’UE, les LDC (Least Developped Countries), AOSIS (Alliance Of Small Island States) s’opposent catégoriquement au transfert de crédits carbone de l’ancien système financier de Kyoto vers le nouveau, l’Australie, le Brésil et les BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine) qui en sont détenteurs font pression pour qu’il se fasse. Source.
L’Union Européenne (comme les Etats-Unis) ne montre pas une meilleure image puisqu’elle s’oppose à l’idée d’amplifier la réduction par une « taxation » des émissions carbone. Pourquoi ? Sans doute parce qu’en tant qu’acheteuse de crédits c’est sur elle que pèsera ce surcoût pourtant si bénéfique à l’atmosphère. Source.
Enfin, last but not least, les Etats-Unis refusent catégoriquement qu’une partie du prix soit assignée au Fond d’Adaptation dont les bénéficiaires sont les pays en voie de développement. Source.

Etudier ces incompatibilités aide à comprendre le piètre résultat de cette COP25. Voire même l’impossibilité d’obtenir un jour un résultat positif lors de ce rendez-vous international où les intérêts nationaux semblent primer les ambitions climatiques.

D’autant que l’UE et d’autres ont cédé face, notamment, à l’Arabie Saoudite sur un point majeur aux peuples indigènes, activistes et jeunes : la mention des droits humains. Celle-ci, qui devait être faite dans les règles d’application de l’article 6.4 afin de s’assurer qu’un projet, si peu émetteur de carbone soit-il, n’impacte ni les droits humains – en particulier ceux des peuples indigènes – ni la biodiversité. C’est ce qui pousse certains à dire que ce résultat n’est pas forcément si mauvais qu’on ne le pense : on a réussi à empêcher la mise en place d’un système totalement inadapté à la lutte contre le réchauffement climatique.

 

Activistes pour les droits des peuples indigènes rassemblés dans le Hall 6 de la COP25 à Madrid.

 

Créer l’engouement autour des COP

Ces COP sont toutefois loin d’être inutiles. Elles ont le potentiel d’un levier conséquent. Cependant, par leur complexité, elles restent pourtant peu appréhendées par la presse généraliste française – il est vrai que la réforme des retraites devait à juste titre prendre sa place sur le podium des sujets de ce mois de décembre. Preuve en est que c’est surtout grâce à la presse spécialisée anglaise que cet article a pu trouver ses sources[5]. L’information n’étant pas transmise, la société civile ne peut réagir en conséquence.

Dorénavant, il s’agit donc de travailler sur la transmission de toutes les informations des enjeux et des négociations qui se déroulent dans les COP. À ce sujet, des tours de facs et écoles vont être organisés. Restez connecté.e.s, suivez le Refedd !

Article rédigé par Sylvain Hamanaka, observateur à la COP pour le REFEDD.

 

[1] A la différence de ce que titre l’éditorial du Monde du lundi 16 décembre 2019 « COP25 : une conférence sur le climat à oublier ».
[2] Mis en place par le Protocole de Kyoto, https://unfccc.int/resource/docs/convkp/kpfrench.pdf.
[3] Système d’échange de quotas d’émission de l’UE ou SEQE-UE, https://ec.europa.eu/clima/policies/ets_fr.
[4] Voir le guide publié par la CCNUCC [https://unfccc.int/resource/docs/publications/handbook.pdf] (UNFCCC Handbook), p. 43.
[5] Voir en particulier https://www.carbonbrief.org/cop25-key-outcomes-agreed-at-the-un-climate-talks-in-madrid; https://www.carbonbrief.org/in-depth-q-and-a-how-article-6-carbon-markets-could-make-or-break-the-paris-agreement.