Du 5 au 13 mai 2017 , c’était la semaine internationale du désinvestissement. A cette occasion, de nombreuses actions ont été organisées un peu partout dans le monde dans le but d’appeler les Etats, villes, institutions, fonds de pension ou encore universités à rompre les liens qui les unissent aux industries fossiles. Plus de 260 événements ont ainsi été organisés dans 42 pays. Avec un message explicite : “Le réchauffement climatique ne se fera ni en notre nom, ni avec notre argent”. Retour sur un mouvement en pleine expansion.
Une mobilisation internationale inédite
Né sur le campus américain du Swarthmore College dans la banlieue de Philadelphie en 2010, le mouvement Zéro Fossile, ou fossil free movement ne se cantonne plus aux seules universités américaines. A l’origine de l’essor du mouvement, les campagnes « Go Fossil Free » et « Fossil Free Europe » lancées par l’ONG américaine 350.org en 2012 et 2013, qui ont respectivement permis de rallier de nouveaux acteurs (villes, institutions culturelles ou religieuses etc) et d’exporter la dynamique en Europe. C’est à ce jour le plus important mouvement de désinvestissement jamais observé, avec des promesses de retraits d’actifs passées de 50 milliards de dollars en 2014 à 5450 milliards de dollars aujourd’hui, représentant 732 institutions engagées. Et la dynamique se poursuit, avec des nouveautés.
Première nouveauté, l’apparition de campagnes transcontinentales. La tournée européenne Stand Up With Standing Rock, qui a eu lieu du 20 mai au 20 juin 2017, a ainsi été organisée pour soutenir les « Protecteurs.trices de l’eau » luttant de l’autre côté de l’Atlantique contre le projet d’oléoduc Dakota Access Pipeline (DAPL). Initialement, l’oléoduc devait traverser la ville de Bismark dans le Dakota du Nord mais décision fut prise de le détourner pour le faire passer par la réserve indienne de Standing Rock, en raison de la forte opposition des habitant.e.s de la ville. Invoquant la mise en danger de leurs approvisionnements en eau et la violation de leurs lieux funéraires sacrés, les opposant.e.s Sioux au projet avaient réussi à l’arrêter sous l’administration Obama.
Mais le projet a été relancé en janvier après l’élection de Donald Trump et l’oléoduc est finalement devenu opérationnel le 1er juin. Les « Protecteurs.trices de l’eau » ne comptent cependant pas en rester là : ils.elles ont obtenu une victoire judiciaire le 16 juin, la justice ayant remis en cause la validité des permis de travaux. En parallèle, des actions ont été menées ce mois-ci en France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Suisse, Espagne et Italie à l’occasion de la tournée Stand Up With Standing Rock pour dénoncer les institutions finançant le projet et les inciter à désinvestir.
Seconde nouveauté, les campagnes de désinvestissement prennent de l’ampleur en Afrique, un des continents les plus vulnérables aux effets du réchauffement climatique. En Afrique du Sud, la mobilisation s’intensifie, avec de nouvelles promesses de désinvestissement de la Fondation Desmond Tutu et de l’Eglise anglicane du Sud de l’Afrique, et un appel au désinvestissement lancé à la ville du Cap et ses universités. Au Kenya et au Ghana, des campagnes sont menées pour empêcher la construction des centrales à charbon de Lamu et d’Ekumfi et développer à la place les énergies renouvelables.
Le rôle clé des ONG, puissant moyen de pression sur les États et autres institutions
Si cette mobilisation sans précédent est possible, c’est en grande partie grâce aux ONG. Celles-ci jouent un rôle essentiel dans les campagnes menées à destination des universités et des institutions culturelles, comme le montrent les campagnes « Sciences Po Zéro Fossile » ou « Libérons le Louvre« .
Les ONG interpellent également les Etats, par une demande récurrente d’arrêt des subventions aux industries fossiles. Cette revendication est portée par de nombreuses ONGs comme 350.org ou le Climate Action Network International (CAN), un réseau regroupant plus de 1200 associations luttant contre le changement climatique. En France, le Réseau Action Climat France (RAC-F) effectue un gros travail de plaidoyer pour inciter les décideurs.euses politiques à prendre des mesures de lutte contre le changement climatique. Ainsi, même s’ils ont salué les engagements pris par Emmanuel Macron de fermer des centrales à charbon avant la fin du quinquennat et d’interdire de nouveaux permis d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures, le RAC-F et ses associations membres ont rappelé qu’il était urgent de traduire ces paroles en actes et surtout, d’être plus ambitieux.
A l’heure où Donald Trump a pris la décision de retirer les Etats-Unis de l’Accord de Paris, il est essentiel que la communauté internationale reste mobilisée et soudée et plus encore, que l’ensemble des Etats revoient leur ambition à la hausse. Pour la France, le RAC-F a donc formulé des recommandations sur la feuille de route “climat” du gouvernement, qui sera dévoilée début juillet. Celle-ci devra ainsi “prévoir une réforme profonde des politiques publiques dans tous les secteurs émetteurs de gaz à effet de serre” (énergie, transport, habitat, agriculture, alimentation et fiscalité), ainsi qu’un « renforcement de la contribution financière de la France et de l’Europe pour la transition écologique des pays les plus vulnérables » (l’analyse détaillée du RAC par ici).
Une implication progressive des Etats (à échelle variable)
Ce travail d’interpellation et de sensibilisation mené par les ONG commence à porter ses fruits, puisque certains États commencent à s’emparer des questions de désinvestissement. En effet, quelques jours avant l’ouverture de l’intersession annuelle de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) le 8 mai, les 49 pays les plus vulnérables vis-à-vis du dérèglement climatique (le V20) ont appelé le G20 à stopper leurs subventions aux industries fossiles d’ici 2020. Ils ont également demandé la mise en place d’un financement climatique adéquat « pour pouvoir verdir leurs économies et s’adapter aux impacts inévitables du changement climatique ». Cette demande apparaît légitime au regard de l’engagement pris par les 196 Etats membres lors de la COP21, à savoir le maintien du réchauffement climatique en deçà de 2°C, voire 1,5°C. En effet, respecter cet objectif impose de laisser inexploités 80% des combustibles fossiles.
Bien que les pays du G20 aient réitéré leur engagement de « rationaliser et éliminer progressivement les subventions aux énergies fossiles » lors du sommet du G20 de 2016, les mots traduits en actions tardent à arriver. En effet, le montant des subventions publiques aux énergies fossiles se chiffrait en 2015 à 5300 milliards de dollars par an, contre 100 milliards pour les énergies renouvelables (voir aussi le Rapport Mobiliser les financements pour le climat). Certains pays développés non membres du G20 font cependant des progrès en matière de désinvestissement. En Norvège, le désinvestissement du fonds norvégien a été lancé par les décideurs.euses politiques après le pic pétrolier de 2014 et le réinvestissement dans les énergies renouvelables apparaît non seulement comme une nécessité climatique mais aussi comme la seule alternative économique viable à terme.
La lutte menée par les citoyen.ne.s appelant au désinvestissement est donc essentielle. Au-delà de l’alerte sur les dangers que représente l’exploitation toujours croissante des combustibles fossiles, les actions menées sont un moyen de faire pression sur les Etats et les décideurs.euses politiques en leur rappelant leurs engagements et en les contraignant à en prendre de nouveaux.
Article rédigé par Melissa Depraz.
Pour aller plus loin :
Libérons l’enseignement supérieur des énergies fossiles
Entre COP22 et COP23 : l’intersession de Bonn 1 an après la signature de l’accord de Paris