Droits de l’homme : quelles avancées attendre des prochaines COPs ?

Depuis la COP24, les droits de l’homme ont été remis au centre des discussions et des mobilisations, rappelant l’émulation autour de ce sujet au moment de l’adoption de l’Accord de Paris en 2015. Toutefois, ce regain d’énergie ne fait que rappeler combien les droits de l’homme peinent à être pleinement incorporés au processus des négociations jusqu’à présent. Comme le souligne le rapport du Haut Conseil des Droits de l’Homme paru il y a quelques jours, tandis que les négociations battaient leur plein à Bonn, l’échec à prendre en compte les droits de l’homme dans les politiques climatiques risque de conduire à terme à un véritable « apartheid climatique » accentuant les inégalités à l’échelle du globe, alors que leur prise en compte pourrait à l’inverse améliorer l’efficacité de ces politiques et s’avérer bénéfique « for the people, as for the planet ».

 

Que s’est-il passé lors de la COP24?

 

Les droits de l’homme ont été assez absents du paysage des négociations jusqu’à la COP 24, durant laquelle ils ont fait un véritable « retour en force », à la fois dans les négociations en tant que telles et dans leur encadrement.

Les discussions à Katowice ont été l’occasion de développements en matière de droits de l’homme. Le contexte historique et socio-économique de cette région minière de Pologne, dépendant massivement de l’industrie du charbon (qui représentait 78% de la production d’énergie du pays en 2016), a permis de mettre l’accent pour la première fois  sur les questions de transition juste et de droits des travailleurs, notamment dans le domaine des énergies fossiles.

Toutefois les droits de l’homme n’ont pas été réellement intégrés au Rulebook opérationnel qui a été mis en place lors de la COP24 et les références aux droits de l’homme ont finalement été retirées du guide pour les contributions nationales (les NDCs, Nationally determined contributions), ce qui a déçu beaucoup de partisans des droits de l’homme.

 

« You can deport activists, but you can’t deport activism » : slogan d’une bannière lors d’une manifestation au moment de la COP24 à Katowice, dans un contexte de durcissement des lois encadrant les actions des activistes.

De plus, le contexte politique a mis en avant une véritable controverse en matière de droits de l’homme, au sujet des droits civils et politiques des membres de la société civile : l’État polonais a mis en place une loi  temporaire qui limitait les droits à manifester des activistes environnementaux, notamment en renforçant les pouvoirs des forces de police en termes de contrôle et d’interdiction de manifester. Au moins une douzaine de participants à la COP24, accrédités par les Nations Unies pour participer, ont été empêchés de franchir la frontière sur le simple motif qu’ils représentaient « une menace à la sécurité nationale ».

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Et lors des dernières intersessions à Bonn?

 

Aux intersessions de Bonn en juin 2019 (SB50),  les droits de l’homme étaient surtout présents à travers des side events et les actions de lobbying. On peut saluer notamment l’engagement des  YOUNGOs, les associations de jeunes, qui ont plaidé pour les droits de l’homme à plusieurs reprises lors des discussions ou à travers des actions médiatiques (happenings, interviews…).

Les discussions sur les droits de l’homme ont pu être prolongées à travers plusieurs événements qui leur étaient dédiés : le groupe de travail de la Plateforme des Communautés Locales et des Populations indigènes s’est tenu la première semaine, ainsi que plusieurs événements prévus la deuxième semaine, notamment celui organisé par la Présidence sur le thème de « La solidarité et la transition juste pour tous pour assurer une action climatique effective » dans la prolongation des réflexions lancées à Katowice sur les travailleurs, ainsi qu’un événement de réflexion sur « Le renforcement des capacités (capacity building) pour intégrer les droits de l’homme à l’action climatique ».

Le 7e dialogue sur l’ACE (Action for Climate Empowerment) a également mis l’accent sur la place  centrale des droits de l’homme dans la mise en oeuvre de l’article 12 de l’accord de Paris, à travers des programmes de renforcement de l’éducation et de la participation citoyenne. (cf l’article de Margaux).

Les droits de l’homme continuent donc d’être intégrés progressivement dans les négociations et sont de plus en plus perçus comme un enjeu incontournable pour assurer une action climatique juste. Malgré tout, des blocages persistent, notamment sur les questions, très discutées lors de ces dernières intersessions, de la transparence et des mécanismes de comptabilisation des émissions, ainsi que sur le refus persistant et extrêmement grave de certains pays à accueillir les conclusions du rapport 1.5°C du GIEC sur les effets du réchauffement climatique – l’Arabie Saoudite en tête, mais celle-ci n’est en réalité « qu’un arbre cachant la forêt », selon un journaliste de Climate Tracker. (cf l’article de Loïs).

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Que pouvons-nous attendre des prochaines COP, et notamment de la COP25, en matière de droits de l’homme?

 

A priori il n’est pas question pour l’instant de revenir sur les traités pour faire des droits de l’homme une mention contraignante pour les États – il faut rappeler à nouveau que les droits de l’homme sont mentionnés uniquement dans le Préambule de l’accord de Paris, et non dans le corps du texte, ce qui leur accorde certes une valeur symbolique mais aucunement contraignante pour les États parties. De plus, les droits de l’homme n’ont pas été intégrés dans le Rulebook opérationnel lors de la COP24 à Katowice. Les seuls progrès auxquels on peut s’attendre à l’échelle des négociations sont donc des avancées concrètes à travers des groupes de travail, ainsi qu’à l’échelle nationale, avec la mise en place des mesures et politiques les plus ambitieuses possibles en matière de droits de l’homme.

De nombreux progrès peuvent être faits dès l’année à venir  :

  • Dans la planification des futures contributions nationales : la mise à jour des contributions nationales (NDCs) en 2020 ainsi que des stratégies de long-terme (en 2020 également) de chaque pays devra prendre en compte pleinement les droits de l’homme, surtout en matière de participation, d’intégration des communautés indigènes, de la problématique de l’égalité des genres, de la sécurité alimentaire, de l’intégrité des écosystèmes, afin d’assurer au mieux une transition juste.
  • Dans le cadre de l’accord de Paris : plusieurs groupes de travail (le Comité de Paris sur le Renforcement des Capacités (capacity building), le Gender Action Plan, le Groupe de Travail Commun de Koronivia sur l’Agriculture ainsi que la Plateforme des Communautés Locales et des Populations Indigènes) offrent la possibilité d’imaginer des politiques intégrant mieux la préservation des droits de l’homme.

D’autres suggestions des parties lors de la COP24 pour mettre plus en avant les droits de l’homme :

  • la création d’un référent (focal point) pour les droits de l’homme au secrétariat des Nations Unies (sur le modèle du référent pour le genre qui existe déjà depuis 2017) ;
  • l’ajout d’une mention des droits de l’homme lors des révisions du mécanisme de Varsovie sur les pertes et dommages (loss and damage) -ce qui permettrait de mettre l’accent sur la dimension humaine des pertes causées par le changement climatique, par exemple dans le cas des réfugiés climatiques ;
  • la création d’un “indice” permettant de mesurer l’intégration des droits de l’homme dans les politiques nationales, sur une proposition du CIEL (Center for International Environmental Law). Pour plus de détails : https://www.ciel.org/issues/human-rights-2

 

« Time for action », la devise de la COP25 qui se tiendra en novembre à Santiago du Chili (Source : www.ahoranoticias.cl)

 

Pour aller plus loin, deux autres articles rédigés par Esther :

 

Article rédigé par Esther Loiseleur, membre de la délégation du REFEDD aux SB50 à Bonn en juin 2019 et présidente contenu de l’association Jeunes Ambassadeurs pour le Climat.