Libérons l’enseignement supérieur des énergies fossiles

Fortement marquée par la récente élection de Donald Trump à la Maison-Blanche, la COP22 s’est achevée vendredi 18 novembre après deux semaines de négociations. L’arrivée de ce président climato-sceptique a suscité une onde de choc parmi les négociateurs ainsi que la société civile présente à Marrakech. “Annuler les restrictions tueuses d’emploi dans la production” est une des mesures phares qu’il souhaite mettre en place durant ses cent premiers jours de mandat. Traduction : développer le gaz de schiste, le pétrole et le charbon sur le sol américain(1). De bien mauvaises nouvelles pour le climat, qui ne doivent toutefois pas nous résigner mais bien nous pousser à redoubler nos efforts pour engager l’ensemble de la société dans la transition énergétique.

 

L’incohérence entre les engagements personnels des Etats et l’Accord de Paris

En décembre 2015, la COP21 aura vu naître l’accord de Paris, applicable et accepté par l’ensemble des pays représentés à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), l’organe de l’ONU qui accueille les COPs climat (aussi appelées conférences des partis). L’objectif de cette 21ème conférence était d’entériner la décision prise lors de la 15ème COP (celle de Copenhague), à savoir de ne pas dépasser les +2°C de réchauffement d’ici à la fin du siècle et par rapport à l’ère pré-industrielle.

Nombreux sont ceux qui se sont réjouis de l’adoption de cet accord qui, malgré son manque d’ambition, a permis de montrer que les Etats du monde entier avaient la volonté de faire avancer la lutte contre le dérèglement climatique. Cependant, les calculs faits à partir des contributions nationales déposées par chaque pays – ces contributions étant la grande nouveauté de la COP21 – montrent que la trajectoire engagée est celle d’un réchauffement d’environ +3,6°C(2). A l’heure actuelle, les projets d’extraction d’énergie fossile approuvés suffisent à eux seul à faire dépasser la barre des 2°C(3). C’est pourquoi de nombreuses ONGs appellent les Etats à revoir leurs ambitions à la hausse et surtout, à cesser leurs subventions aux énergies fossiles.

En 2015, le soutien aux énergies fossiles – après impôts – s’évalue à 5300 milliards(4) de dollars. Ce montant intègre le poids des externalités environnementales négatives (pollution atmosphérique, adaptation au changement climatique, etc.) et représente un coût budgétaire pour les états d’environ 500 milliards de dollars(5). A titre indicatif, les subventions publiques pour les énergies renouvelables s’élèvent à environ 100 milliards de dollars par an(6).

La multiplication des actions citoyennes : le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles initié par 350.org

Face à ce paradoxe, les initiatives d’associations et de citoyens se multiplient. Ainsi, du 5 au 7 avril, des actions organisées par le collectif Action Non-Violente COP21 (ANV-COP21) ont permis le blocage du sommet du pétrole offshore, lequel avait pour objectif – entre autres – de trouver de nouveaux moyens de forer en eaux profondes.

De son côté, l’ONG 350.org a lancé une campagne de désinvestissement des combustibles fossiles (Zéro Fossile). Cette campagne trouve son origine en 2008, avec l’action d’un groupe d’étudiants sur un petit campus de la banlieue de Philadelphie. En désaccord avec le choix de leur université d’investir dans les énergies fossiles, ils l’ont interpellé sur ce sujet. Ils se sont ensuite organisés pour faire campagne auprès de la direction afin que celle-ci retire ses investissements carbonés et rompe donc publiquement ses liens, directs ou indirects, avec l’industrie fossile. Depuis, cette campagne s’est répandue partout dans le monde, les étudiants jouant à chaque fois un rôle moteur. En quelques années, plus de 600 institutions, telles que des universités, des villes, ou encore des fonds de pension ont pris des engagements de désinvestissement : c’est une dynamique exceptionnelle qui a permis aux citoyens de s’organiser et de se constituer en contre-pouvoir face à l’industrie fossile, tout en portant un message clair: “la destruction du climat ne se fera ni en notre nom, ni avec notre argent.”

Aux Etats-Unis, les établissements d’enseignement supérieur américains jouissent d’une grande indépendance dans la gestion de leurs budgets, notamment grâce à deux leviers :

  • La dotation de l’université (endowment) : capital placé en bourse sous forme d’actions et d’obligations.
  • La collecte de fonds (fundraising) : les fonds récoltés sont d’origines très variées (entreprises, anciens élèves, parents, particuliers, etc.).

Ces mécanismes budgétaires, inexistants en France, permettent aux universités américaines d’investir et de faire fructifier leurs capitaux via des entreprises privées.

La place des énergies fossiles dans le financement universitaire en France

En France, le financement de l’enseignement supérieur, à hauteur de 84,8%, est majoritairement public. Toutefois, la part des financements privés augmente d’année en année, passant ainsi de 5,8 à 7% entre 2009 et 2011(7) (le pourcentage restant provenant des ménages via les frais d’inscription). Cela passe notamment par les fondations universitaires (créées en conseil d’administration) et les fondations partenariales (dotées de la personnalité morale), instaurées par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU). Ces fondations (on en compte désormais une cinquantaine) sont le fruit de l’autonomisation progressive que l’Etat accorde aux universités depuis cette loi de 2007. Ne dépendant plus exclusivement de finances publiques, les universités se mettent en quête de fonds privés issus des entreprises, des fondations privées et des donateurs particuliers. Pour convaincre les grandes entreprises et les PME voire de simples particuliers, les universités arguent d’une déduction fiscale de 66% pour l’ensemble des donateurs. Argument de taille dans la course aux financements privés.

L’usage des fonds récoltés par les fondations partenariales et les fondations universitaires est loin d’être dénué d’enjeux. En effet, une fois récoltés, les universités ne peuvent changer la destination du budget des fondations. Tous les postes de dépenses non concernés par ces levées de fonds devront alors se contenter du budget attribué par l’Etat. C’est, de fait, un encouragement direct à mettre les enseignements, la recherche et les personnels sous tutelle d’intérêts particuliers.

Plus important encore, les fonds récoltés par ces fondations sont bien souvent issus d’entreprises et de groupes opérant dans le secteur des énergies fossiles. Fondaterra, la fondation partenariale de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, qui a pour ambition d’accompagner “la transition vers des territoires soutenables, en misant sur l’économie verte comme modèle de croissance” est à ce titre un exemple criant de financements privés issus de l’extraction et de l’exploitation d’énergies fossiles. En effet, cette fondation partenariale, qui a levé des fonds à hauteur de 1,4 million d’euros(8), compte dans ses rangs de nombreuses entreprises très actives dans le secteur des énergies fossiles. Les universités françaises sont également liées à l’industrie fossile par le biais des financements de chaires de recherche, de thèses, de contrats de recherche, de colloques, d’associations étudiantes, etc.

Il est légitime que les liens unissant nos universités à ce type de fondation et/ou d’organisation nous amène à nous indigner face à la double affectation de cet argent, qui participe d’une part à la destruction du climat et qui souhaite “développer durablement les territoires” d’autre part.

 

Affiche de campagne pour le désinvestissement (Photo: WildEarth Guardians/flickr)
Affiche de campagne pour le désinvestissement (Photo: WildEarth Guardians/flickr)

La nécessaire mobilisation des étudiants dans le processus de désinvestissement

Depuis le lancement de la campagne de désinvestissement initiée par 350.org, de nombreuses universités suivent le pas, bien souvent poussées par des étudiants. La prestigieuse London School of Economics a ainsi annoncé en novembre 2015 qu’elle désinvestissait 138 millions d’euros des compagnies travaillant dans le charbon ou les sables bitumineux, rejoignant les universités de Stanford, Yale, Harvard, Glasgow ou Oxford.

Cependant, les universités et écoles françaises tardent à faire de même. Or, ces institutions qui prétendent préparer la jeunesse à la construction du monde de demain ne peuvent continuer à soutenir l’industrie fossile qui, elle, s’évertue à rendre la planète inhabitable. Il est temps que les étudiants de France emboîtent le pas de ce mouvement mondial car nos universités ont une responsabilité importante dans la lutte contre le dérèglement climatique. Elles peuvent désinvestir et refuser des financements à travers leur fondation. Même si les montants en jeu sont sensiblement différents de ceux des universités américaines, rappelons que le but de la campagne de désinvestissement n’est pas la banqueroute financière de l’industrie fossile, mais sa banqueroute morale.

Le mouvement zéro fossile entend par ailleurs repolitiser la question de l’investissement, il est donc primordial de réfléchir à « l’après désinvestissement ». C’est une nécessité morale de proposer une alternative financièrement viable aux universités et écoles qui souhaitent se désolidariser de ces investissements fossiles. Comme fil directeur, gardons en tête que « l’argent public se doit d’être investi dans les solutions, non dans les problèmes ». C’est pourquoi les Investissements Socialement Responsables(9) (ISR), comme les énergies renouvelables par exemple, constituent une bonne alternative et un choix financier raisonnable.

Dans ce contexte, nous appelons le monde étudiant à se mobiliser pour extraire les universités et les écoles de leurs investissements carbonés. Il n’existe pas d’investissement sans conséquences. C’est une question de cohérence. Nous somme conscients que le changement climatique est une crise grave et sommes préoccupés de voir que notre éducation est financée par des investissements menaçant notre avenir. Mener une campagne de désinvestissement sur son campus, interpeller les décideurs et leur montrer l’absurdité de ces cautionnements financiers, est une action politique qui dépasse le cadre individuel. C’est pourquoi le REFEDD a décidé de soutenir ce mouvement pour le désinvestissement des universités et des écoles en France.

 

Le REFEDD demande aux administrations des universités, instituts, centres de formations et écoles françaises de :

Refuser le greenwashing, et de :

  • Publier le détail des liens (notamment financiers) qui les unit à l’industrie fossile,
  • Annuler toute sponsorisation ou contrats passés avec l’industrie fossile.

Retirer leur soutien financier à l’industrie fossile, et de :

  • Exclure l’industrie fossile, des portefeuilles d’investissement auxquels ils sont liés,
  • Cesser tout nouvel investissement dans l’industrie fossile.

Soutienir la transition vers un système énergétique juste et durable, en :

  • Centrant leurs recherches et expertises sur les solutions climatiques, et en refusant toute recherche potentielle commandée par l’industrie fossile,
  • Dirigeant leurs investissements vers la mise en place d’énergies renouvelables sur leurs campus.
Source : fossil free
Source : fossil free

Pour aller plus loin :

Les vidéos de Vincent Verzat.

Retour sur les trois ans de la  campagne de désinvestissement à l’échelle européenne.

La pétition de SciencesPo Zéro fossile.

Le site zéro fossile pour plus d’informations sur la campagne et créer la vôtre.

Le site d’Action Non-Violence COP21

 

Sources :

(1) Novethic

(2) PNUE, 2016

(3) Les chiffres du climat sont à revoir, Bill McKibben

(4) Fonds Monétaire International, 2015

(5) Rapport : Mobiliser les financements pour le climat.

(6) CCNUCC, 2014.

(7) Futuris, Financement et budget des universités : ou en est-on ?, 2012.

(8) Sénat, Financement des universités : l’équité au service de la réussite de tous,2016.

(9) Investissement socialement responsable : 58 fonds d’investissement sont labélisés, Actu Environnement.

 

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