Focus COP 26 – Le sol comme solution climatique

La conférence du 17 novembre de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à l’occasion du « Race to Zero » a permis de discuter de certaines innovations et possibilités de stockage de carbone dans les sols, et des moyens de réduire les émissions de carbone dans le secteur agricole.

Les enjeux du secteur agricole

Le secteur agricole est au cœur des enjeux environnementaux actuels. En effet, les conséquences sur l’environnement d’une mauvaise gestion des sols et cultures sont nombreuses : pollution des eaux (biodiversité aquatique), pollution de l’air, déforestation, artificialisation et dégradation des sols, émissions de gaz à effet de serre (GES), destruction des habitats naturels (biodiversité terrestre), etc.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’équivalent d’un terrain de foot de terre est perdu toutes les 5 secondes à cause de l’érosion, et environ 20 millions d’hectares de terre par an. Cependant, la santé des sols est capitale pour la production de notre alimentation. Une bonne gestion des sols est donc un enjeu central du secteur agricole. Des méthodes de gestion alternatives et durables des sols émergent peu à peu, telles que l’agriculture de conservation, l’agriculture biologique, l’agriculture régénérative ou biodynamique et l’agroforesterie. Selon Paul Luu qui représente l’initiative 4 per 1000, un projet français de séquestration de carbone dans les sols, il faut sortir de l’agriculture conventionnelle en adoptant progressivement ces méthodes.

Tendance pour l’agroécologie dans le futur, extrait du diaporama de Paul Luu de 4 per 1000 pendant la conférence de la CCNUCC.

Durant cette conférence, Finian Makepeace a présenté les différents objectifs de l’association Kiss the Ground, qu’il a cofondé. L’association a réalisé le film « Kiss the Ground » portant sur la régénération des sols, disponible sur Netflix. L’ONG vise à sensibiliser, à faire comprendre l’agriculture régénérative à tous, des consommateur·trice·s jusqu’aux agriculteur·trice·s en passant par les politicien.ne.s, et à rendre ce type d’agriculture accessible afin d’impliquer tout le monde dans le projet. L’objectif est d’aider les agriculteur·trice·s à avoir accès aux différents outils de l’agriculture régénérative (informations, formation, techniques,…). 

L’agriculture, un secteur à haut potentiel dans la lutte contre le dérèglement climatique

On entend souvent parler de la capture ou du stockage de carbone par les arbres et d’autres solutions climatiques fondées sur la nature. Mais les plantes qui captent le carbone vont en réalité le stocker ensuite dans les sols. C’est pourquoi le stockage du carbone dans les sols est une méthode à haut potentiel dans la lutte contre le dérèglement climatique. Ainsi, ce serait l’occasion pour le secteur agricole d’agir pour le climat. 

Selon Deborah Bossio, chercheuse en biologie et fertilité des sols, les opportunités qu’offre la nature dans la réduction du CO2 contribueraient à environ 30% des réductions nécessaires d’ici 2030 (les 2/3 restants proviendraient du secteur de l’énergie et de la décarbonation de l’économie). Et parmi ces solutions fondées sur la nature, au moins 30% proviendraient de l’agriculture.

Ainsi, l’agriculture est un secteur à haut potentiel dans la réduction de la quantité de carbone dans l’atmosphère. Mais pour faire du secteur agricole un secteur actif dans la lutte contre le changement climatique, il est aussi nécessaire de réduire, par exemple, les émissions de méthane des élevages animaux (le choix de réduire sa consommation de viande joue un rôle important dans cette diminution), l’utilisation des engrais (responsables entre autres des émissions de protoxyde d’azote, un puissant gaz à effet de serre) et des pesticides, mais aussi le travail du sol, la déforestation et le changement d’affectation des sols.

Un sol en bonne santé : bon pour la planète, bon pour les agriculteur·trice·s, bon pour les consommateur·trice·s

Alexandra Brand, qui travaille sur la durabilité au sein de la société Syngenta, explique que des pratiques agricoles plus saines pour les sols les rendent plus fertiles et améliorent la biodiversité du sol. Un sol en bonne santé nécessite moins d’irrigation et permet donc une importante économie en eau dont on a bien besoin, étant donné que l’agriculture est un secteur très consommateur en eau douce.

En plus de demander moins d’eau, cela rendrait le secteur agricole plus résilient face au changement climatique, car les plantes seraient cultivées dans des sols plus humides et plus sains. De plus, un sol plus sain permettrait de produire des aliments abordables et de qualité, tout en séquestrant du carbone. Tout le monde est gagnant dans une stratégie de préservation des sols, selon Alexandra Brand : les agriculteur·trice·s avec un sol plus fertile et moins demandeur en eau, la nature avec une diminution du carbone atmosphérique.

Pour Minette Batters, agricultrice, c’est une évidence : une agriculture intelligente face au climat est bénéfique pour la planète, pour les agriculteur·trice·s, pour la qualité des aliments mais aussi pour l’économie, pour les entreprises et pour les gouvernements. Pour une meilleure séquestration du carbone dans le sol, il faut utiliser les outils de l’agroécologie comme l’agroforesterie, les haies, les arbres. Il faut investir dans une meilleure gestion des sols. Elle souligne enfin l’importance des énergies renouvelables et d’une économie « verte » dans cet objectif de neutralité carbone dans la production alimentaire d’ici 2040.

La perspective des agriculteur·trice·s, des moyens d’action et des soutiens financiers

Pour les agriculteur·trice·s, la question est de savoir comment faire pour mettre en place toutes ces transformations de leur mode de production.

En effet, il n’est pas facile de changer une manière de cultiver quand on a toujours fait d’une certaine manière et qu’on a peu de moyens financiers et techniques pour effectuer ce revirement. C’est pourquoi Alexandra Brand insiste sur le fait que le secteur agricole a besoin de soutiens financiers, d’outils de management ainsi que de formations aux technologies et aux innovations numériques. Et cela prend du temps. Les trois enjeux clés du changement dans l’agriculture sont d’abord les politiques agricoles, mais aussi la compréhension de la perspective des agriculteur·trice·s et enfin l’économie et la finance.

Paul Luu est d’accord avec le fait que l’agriculture doive faire l’objet de politiques qui façonnent un cadre législatif, règlementaire, économique, social et environnemental pour les acteur·trice·s de l‘agroalimentaire dont les agriculteur·trice·s. Pour lui, l’agriculture doit être soumise à des règles, des mesures, des contraintes environnementales, notamment sur l’autorisation et la régulation d’intrants. Il existe par exemple des normes sur les pratiques agricoles, avec des contrôles. De plus, le représentant de 4 per 1000 souligne qu’il faut définir des mesures de soutien économique et social telles que des subventions, des aides ou toutes sortes d’assurances pour encourager cette transition pas toujours facile pour les agriculteur·trice·s, qui doivent sortir de leur zone de confort.

Les moyens et acteurs de la transition dans le milieu agricole, extrait du diaporama de Paul Luu de 4 per 1000 pendant la conférence de la CCNUCC.

Stocker le carbone dans le sol : le projet ambitieux de 4 per 1000

Comme présenté précédemment, le projet 4 per 1000 consiste à stocker le carbone dans les sols en améliorant notre méthode de gestion des sols. Durant la conférence, Paul Luu nous montre la vidéo explicative du projet que l’on peut retrouver sur leur site internet et il l’explique au fur et à mesure. En effet, il décrit l’origine du carbone et les flux qui le régissent. Le phénomène important utilisé par 4 per 1000 est la capture du carbone dans l’atmosphère (CO2) par les plantes qui le stockent. Il s’agit donc d’aider les plantes à capturer le plus de carbone possible et à le maintenir dans le sol où il aidera les plantes à se développer avec l’aide des autres éléments du sol (phosphore, azote…). L’ambition de l’initiative 4 per 1000 est d’augmenter de 0,4% (4/1000) la quantité de carbone dans les sols chaque année, ce qui correspond à peu près aux rejets annuels de CO2 dans l’atmosphère due aux activités humaines dans le monde. Le carbone étant essentiel au développement des plantes, ce projet à l’avantage d’assurer une sécurité alimentaire et d’atténuer le changement climatique par la diminution du CO2 dans l’air.

Il est tout de même évident pour Paul Luu qu’il faut en même temps réduire notre impact sur les forêts, et encourager les pratiques agricoles écologiques pour avancer vraiment dans la bonne direction. La production agricole est fortement corrélée avec la santé des sols et le niveau de matière organique, selon l’ingénieur agronome, et l’initiative répond au triple défi de notre génération : adaptation, atténuation et sécurité alimentaire. Le temps de la réflexion est terminé, il est temps d’agir collectivement et d’encourager les bonnes pratiques écologiques pour transformer le système agricole en un système durable.

Techniques de gestion des sols utilisées par les agriculteurs pour y stocker du carbone organique, extrait du diaporama de Paul Luu de 4 per 1000 pendant la conférence de la CCNUCC.

Meilleure gestion des sols et agriculture durable : les propositions de Bayer

Le directeur de la politique climatique chez Bayer CropScience, Jeff Seale, rappelle que la société d’agrochimie a pris publiquement l’engagement d’aider à atteindre la neutralité carbone dans le secteur de l‘agriculture. La société vise notamment à agir pour réduire de 30% les émissions de polluants de l’agriculture d’ici 2030. Selon Jeff Seale, il est important d’être de plus en plus ambitieux pour répondre aux enjeux environnementaux de l’agriculture.

C’est pourquoi Bayer CropScience a aussi un objectif de neutralité carbone pour elle-même, en tant que société. La filiale de Bayer est en constante recherche d’innovations pour aider les agriculteur·trice·s à réduire leurs émissions, à mieux gérer les apports en intrants de leurs cultures et à adopter des pratiques agricoles régénératives. D’après le représentant de Bayer CropScience, le principal enjeu du changement est de montrer que cette transition dans l’agriculture est possible d’un point de vue économique. Avec une agriculture durable, les agriculteur·trice·s pourraient produire le maximum de nourriture avec la plus faible empreinte possible, et ainsi réduire l’empreinte carbone des terres agricoles et donner l’opportunité aux écosystèmes de se restaurer et de créer de grands espaces de stockage de carbone.

Pour conclure, Paul Luu explique que la première barrière à franchir est la sensibilisation du public sur l’importance de la nourriture dans cette lutte contre le changement climatique, mais aussi sensibiliser les politiques qui doivent intégrer la santé des sols et la séquestration du carbone dans leurs Contributions Déterminées au niveau National, (CDN, ou NDCs en anglais).

Article rédigé par Cécile Tassel, bénévole au REFEDD, membre de l’équipe qui suit l’actualité en lien avec la COP26.

Intervenant·e·s de la conférence :

  • Louise Baker, Directrice générale du mécanisme mondial, Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification (UNCCD)
  • Minette Batters, Agricultrice et présidente, UK National Farmers Union
  • Deborah Bossio, Chercheuse en biologie et fertilité du sol, The Nature Conservancy (TNC)
  • Alexandra Brand, Directrice du pôle développement durable, Syngenta
  • Martin Frick, Envoyé spécial des Nations Unies sur les systèmes alimentaires
  • Mohammad Iman Bakarr, Responsable scientifique en environnement, Global Environmental Facility (GEF)
  • Theo de Jager, Président de l’organisation mondiale des agriculteurs (WFO)
  • Tamisha Lee, Agricultrice et présidente, Jamaica Network of Rural Women
  • Paul Luu, Secrétaire executif, initiative 4 per 1000
  • Finian Makepeace, Co-Fondateur & Directeur politique, Kiss the Ground
  • Gonzalo Munoz, Champion chilien du climat (COP25)
  • Jeff Seale, Directeur de la politique climatique, Bayer Crop Science
  • Katja Seidenschnur, Directrice du développement durable pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Nestle
  • Sok Sotha, Agriculteur et directeur général, CFAP Cambodia et membre du conseil d’administration du WFO, Asie
  • Luisa Volpe, Head of Policy Development, WFO

Pour aller plus loin :