Le genre dans les négociations climatiques : des avancées pendant la COP24 ?

Un article expliquant l’importance de la prise en compte du genre dans le cadre des négociations climatiques avait été rédigé par Auriane, une des observatrices du REFEDD aux intersessions de Bonn, en mai 2018. Si ce n’est pas déjà fait, et que vous ne comprenez pas trop pourquoi on parlerait de la question du genre à une COP, nous vous invitons chaudement à le lire ! Auriane en récapitulait les enjeux et les dernières avancées. Vous pouvez aussi jeter un coup d’oeil à la vidéo des Jeunes Ambassadeurs pour le Climat (JAC) qui traite de ce sujet. Aujourd’hui, le REFEDD vous propose un second article pour vous tenir au courant de ce qui s’est dit à la COP24 en matière de genre.

 

La place des femmes dans les négociations climatiques

Dans l’article de mai dernier, Auriane vous expliquait qu’il était encore trop tôt pour évaluer les effets du Gender Action Plan (GAP) adopté en décembre 2017 à Bonn, et qu’il faudrait regarder la parité des délégations aux intersessions et à la COP24. Maintenant que la COP24 est finie, il est temps de faire le bilan !

Un certain nombre de médias et associations suivent de près les évolutions des statistiques de genre aux négociations, et c’est notamment le cas de Climate Tracker et de Carbon Brief. Les chiffres que j’utilise pour ce court bilan à chaud sont donc issus de leur travail, ainsi que du rapport sur le genre du secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) publié en septembre 2018. Depuis 2013, le secrétariat doit rédiger annuellement ce rapport, qui a pour but d’aider les pays à suivre les progrès réalisés vers un équilibre entre hommes et femmes dans le cadre de l’élaboration de politiques climatiques.

En ouverture du rapport 2018, il est fait remarquer que pour la première fois depuis 2013, le taux de représentation des femmes est supérieur ou égal à 38 % dans plus de la moitié des organes constitués dans le cadre de la CCNUCC, le protocole de Kyoto ou l’Accord de Paris (si vous ne savez pas bien ce que sont ces organes, je vous redirige vers le site de la CCNUCC, malheureusement non traduit en français).

 

Mais plus encore que la composition des structures administratives autour des négociations climatiques, ce qui est vraiment intéressant, c’est la place des femmes dans les délégations des États : cela permet de voir le poids qui leur est accordé dans la prise de décision politique. Le rapport du secrétariat de l’UNFCCC indique une présence de 37% de femmes à la COP23, puis 44% aux intersessions de Bonn. C’est positif au premier abord, mais ce sont les COP qui comptent le plus, politiquement parlant. Est-ce qu’un ratio de plus de 40% a aussi été atteint à Katowice pour la COP24 ? D’après Carbon Brief, le chiffre est resté à 37% cette année : aucune progression depuis la COP23, donc.

Il est également important de regarder un peu plus le détail de la composition par pays, car si 13 d’entre eux ont réussi à atteindre la parité parfaite à la COP24, il y a une certaine variabilité. Ainsi l’Angola a un ratio paritaire avec 26 délégué·e·s, tandis que Sao Tome et Principe l’a atteint avec 4 délégué·e·s. Le Kirghizistan est le seul pays à atteindre les 100% de femmes, avec 7 déléguées. Du côté des moins bons élèves, la Barbade n’a envoyé aucune déléguée femme, sur un total de 8 membres. D’autres pays comme le Canada comptent de nombreuses femmes dans leur délégation (56 déléguées canadiennes), mais restent loin de la parité (sur 186 membres, les femmes représentent 30% de la délégation canadienne). Les chiffres de la France vous intéressent sans doute aussi : elle a envoyé 42% de femmes, sur 188 membres. Pour plus de détails, la liste complète de la composition genrée des délégations nationales réalisée par Carbon Brief est disponible en ligne.

Par ailleurs, la présence importante de femmes dans une délégation ne suffit pas à s’assurer complètement qu’elles jouent un rôle égal dans les négociations. Il faut aussi prendre en compte leur rang dans la délégation : si elles sont ministres de l’environnement ou des affaires étrangères, elles ont plus de poids que si ce sont des activistes d’ONG qui ont été intégrées à la délégation, ou des épouses ou filles d’un chef d’État. Un risque pour les femmes qui sont invitées à la COP comme conférencières dans un side-event est de se contenter de jouer “la femme de service”, qui témoigne aux COP mais n’a absolument aucun rôle décisionnaire.

Une manière d’estimer le rôle joué par les femmes est de regarder qui prend la parole dans des moments importants. Même si ce n’est pas là que se jouent les négociations, la prise de parole de femmes ministres ou hautes fonctionnaires pendant les événements de “haut-niveau” n’est pas anodine, elle signifie qu’on leur laisse représenter la position politique de leur pays. Ainsi, lorsqu’on comptabilise la présence de femmes intervenant dans les “High-level segment statements”, on arrive aux chiffres suivants : sur 132 interventions au total (en comptant la 1ère plénière de “haut-niveau” en ouverture de la COP, et la 2nde plénière lors de la deuxième semaine, sans compter les interventions des différents ministres polonais), il n’y a eu que 27 femmes ministres ou hautes fonctionnaires qui ont pris la parole. Bien évidemment, c’est le reflet d’un déséquilibre de genre en politique qui est général. Là-dessus, la France n’est pas trop mauvaise élève cette année, puisque c’est Brune Poirson, Secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire, qui est intervenue lors de la deuxième plénière de “haut-niveau” de la COP, le 12 décembre.

Discours de Brune Poirson

 

Le genre face au changement climatique

Mais la problématique du genre dans les négociations ne se limite pas à la question de la parité dans les délégations. Le GAP vise aussi à prendre en compte les besoins différenciés des femmes et des hommes, qui sont affecté·e·s différemment par le réchauffement climatique. Il s’agit aussi de favoriser l’égalité des genres dans la mise en oeuvre du financement des projets d’adaptation ou d’atténuation du changement climatique, et de s’intéresser aux besoins des femmes pour la mise au point et le transfert de technologies. Cela implique donc une prise en compte de critères de genre au sein des organismes de financement créés au cours des négociations climatiques, notamment le Fond Vert et le Global Environment Facility (GEF) Trust Fund. A la COP24, la question du genre était officiellement inscrite à l’agenda des négociations. Alors que les parties ont échoué à intégrer la notion de droits humains dans le texte de l’accord de la COP24 (une notion pourtant présente dans les premières versions), on peut se réjouir un peu plus de la place accordée aux droits des femmes. Le mot « gender » apparaît en effet à 13 reprises dans le texte final.

[Tweet de Chris Wright de Climate Tracker sur les occurrences de termes-clés dans la première version de travail de l’accord de la COP24]

Bien sûr, la simple mention du terme “genre” dans le texte ne signifie en rien que des mesures ambitieuses seront prises. Il y a encore de gros progrès à faire, notamment sur la question du financement. C’est ce que rappelle Liane Schalatek dans un rapport de novembre 2018 sur l’égalité des sexes et le financement climatique. La COP24 n’a pas réglé ces questions malgré l’activisme important d’ONG de défense des droits des femmes à la COP, qui ont d’ailleurs rédigé un appel sur ce thème.

Mais le texte adopté à la COP24 demande tout de même aux pays d’évoquer la question du genre dans leur communication (notamment celle des pays développés sur les aides données aux pays en développement, et la communication autour de l’adaptation) ainsi que dans les informations à publier concernant les engagements nationaux. Un des seuls aspects contraignants est l’exigence de la parité parmi les experts nommés par le Secrétariat de la CCNUCC pour faire le suivi des informations publiées par les parties. Sinon, les pays sont simplement encouragés à prendre en compte le genre dans leur politique climatique, notamment dans le cadre des transferts de technologies et du renforcement des capacités. Globalement, il s’agit souvent de références générales aux enjeux de genre, en même temps qu’il est fait référence aux droits des peuples autochtones, à la participation du public, etc. Peu de dispositions contraignantes donc, mais la présence de ces problématiques-là dans le texte final de Katowice est déjà à saluer.

Pour la suite, il faudra continuer de suivre l’évolution de la prise en compte du genre dans les politiques de finance climat, ainsi que de la parité dans les délégations. Par ailleurs, les efforts de la constituante d’ONG Women & Gender dans l’année qui vient seront concentrés sur la nomination des Gender Focal Points, des référent·e·s sur la question du genre dans chaque délégation nationale. Pour le moment, ils ne sont que 95 pays (dont la France) à l’avoir fait, sur les 197 signataires de la CCNUCC.

Sources :

 

Article rédigé par Aurore Grandin