Rapport 1.5° du GIEC : le petit drame qui en dit long

À l’heure où une partie des jeunes observateur.rice.s des négociations internationales sur le Climat sont tiraillé.e.s par l’envie de hurler l’urgence climatique aux délégations des États à Bonn (Allemagne), ces derniers trouvent le moyen de s’embourber dans les questions de reconnaissance du dernier rapport du Groupe d’Expert Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC). Comment cela est-il possible ?

 

D’abord, de quoi parle-t-on ? 

 

Le GIEC publie en octobre 2018 un rapport spécial qui donne l’état de l’art, c’est-à-dire qui synthétise les dernières données scientifiques pour comprendre les enjeux d’un monde à +1.5° ou +2° par rapport à 1800 (aujourd’hui, nous sommes déjà à +1°). Ce rapport frappe les esprits car il montre que si +1.5° occasionne déjà de grands bouleversements écologiques, +2° a des conséquences bien plus dramatiques pour la société (pour plus détail, voir l’excellent article de Margot à ce sujet lors de la publication du rapport : http://le-reses.org/rapport-du-giec/).

 

Négociations entre les Etats sur le rapport du GIEC à Bonn.

 

 

Ensuite, que s’est-il donc passé aux intersessions de Bonn sur cette question ?

 

Les États ont été sollicités pour rédiger une décision commune concernant ce rapport afin qu’il devienne le texte scientifique de référence pour établir les ambitions et les objectifs de réduction des gaz à effet de serre de chaque État. Or, certains États cherchent à disqualifier l’objectif des 1.5° mentionné dans les Accords de Paris, afin de perpétuer leurs exportations d’énergie fossile. Avec l’Arabie Saoudite en tête, ces États ont constamment refusé que ce rapport puisse être invoqué pour rehausser les ambitions nationales. Selon eux, il comporte des vides qui compromettent sa qualité à orienter les politiques publiques. La plupart des autres pays reconnaissent certaines incertitudes dues aux limites actuelles des connaissances, mais celles-ci ne devraient en aucun cas empêcher, ralentir ou négliger l’apport de ce rapport et l’urgence d’agir en conséquence.

 

Pause : mais qui est le vrai commanditaire du rapport ?

 

Le rapport spécial a été commandé lors de la COP21 à Paris. Pour rappel, les États s’étaient accordés pour contenir l’augmentation des températures “nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C”. Les États les plus vulnérables, notamment les insulaires à cause de la montée des eaux, mécontents que 1.5° ne soient pas plus mis en avant, ont obtenu que ces deux situations soient plus amplement documentées. En conséquence, l’Accord de Paris “invite le Groupe intergouvernemental d’experts  sur l’évolution du climat (GIEC) à présenter un rapport spécial en 2018 sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre” (AP : https://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09r01f.pdf).

 

Digression éclairante : l’ épisode du résumé pour décideur.se.s ?

 

J’ai eu la chance de rencontrer à Bonn (autour d’une bière…) une autrice  finlandaise du GIEC qui a notamment rédigé une partie du résumé pour décideur.se.s. Ce résumé est très important car plus que synthétiser, il met l’accent sur les parties du rapport les plus importantes pour agir face au changement climatique. Il est aussi la partie la plus lue du rapport par les décideur.se.s et ces dernier.ère.s doivent l’adopter à l’unanimité pour donner au rapport sa valeur de référence incontestée.

Corée du Sud, octobre 2018 : les États se réunissent pour adopter ce résumé pour décideur.se.s proposé par des scientifiques auteur.rice.s du rapport. Après de longues négociations, où chaque auteur.rice justifie et éventuellement amende ou supprime son texte face aux États, qui souhaitent y voir telle ou telle considérations en fonction de leurs intérêts. Cette autrice finlandaise me décrit cette semaine-là comme la plus longue de sa vie avec une accélération surhumaine les derniers jours. Le résumé n’allait pas être adopté pour vendredi midi, la fin prévue de la session. Alors la session a été prolongée d’1h, puis de 2h, jusqu’au lendemain, 15h sans pause ! Elle et les autres scientifiques continuaient d’être sollicités toute la nuit et au matin jusqu’à aboutir à un résumé adopté internationalement. Déjà alors, l’Arabie Saoudite était en première ligne pour enrayer le processus, fatiguer les partis, et placer ses cartes à tout prix.

 

La Team REFEDD de la deuxième semaine des intersessions !

 

Finalement, une mascarade diplomatique qui fait sens

 

Pour résumer, le rapport spécial est commandé suite à la pressions des pays les plus vulnérables aux changements climatiques pour appuyer la trajectoire de 1.5° plutôt que de 2°, les deux mentionnées dans l’Accord de Paris. Les négociations pour approuver son résumé pour décideur.se.s ont déjà été particulièrement dures. La COP24 à Katowice (Pologne) s’est terminée avec le report des discussions à Bonn aux intersessions. Certains États (Arabie Saoudite, les États-Unis, la Russie et le Koweit) proposaient de “prendre note” du rapport plutôt que de l’accueillir et de le reconnaître, ce qui leur permettaient de ne pas le tenir comme référence par la suite dans leurs décisions politiques.

Dans ces conditions, il était probable que les discussions tournent court à Bonn, et c’est exactement ce qu’on a pu observer. Les pays ont travaillé sur un texte très ambigu de 16 paragraphes, la veille même des plénières de décision. Puis, le jour J, c’est un texte de 5 paragraphes uniquement qui est adopté. On peut y lire que les États “considèrent” le rapport, remercient les scientifiques, reconnaissent que c’est ce qu’il y a de mieux comme science sur ces questions, et qu’il y a des vides de connaissance à combler. Certes prévisible, cette décision est bien faible, voire pitoyable face au travail phénoménal effectué par le GIEC pour cette production commandée.

 

Alors que faire ?

 

Cette situation en dit long sur les négociations internationales et l’incapacité du multilatéralisme à répondre à la hauteur des enjeux climatiques. Nous ne pouvons pas attendre les COPs, nous ne pouvons pas attendre que tous les pays s’y mettent conjointement, certains ont un intérêt à court, voire moyen terme à entraver la lutte contre le changement climatique. C’est à nous de prendre les devants, de donner l’exemple, d’aider les suivants puis de mettre en place un mécanisme similaire à celui du désarmement nucléaire, nécessitant un certain abandon de souveraineté des États, pour le bien de l’humanité présente et en devenir, des autres animaux et du vivant en général.

Article rédigé par Loïs Mallet, étudiant observateur aux intersessions à Bonn.