2023 : Une PAC en deçà des enjeux historiques

Le mardi 21 mars 2023, Juliette Sainclair a présenté en distanciel aux membres du CEAD l’histoire et le fonctionnement de la PAC (Politique Agricole Commune), avant d’aborder l’ultime réforme de cette dernière. La présentation fut riche des années de lutte et lobbying de l’association « Pour une autre PAC », désormais « Collectif nourrir », dont Juliette est membre.

Origine et architecture de la PAC

La PAC a vu le jour en 1957 lors du Traité de Rome avec la mise en place de prix garantis et de taxes à l’importation fortes. L’outil a permis à l’Europe de nourrir sa population puis de revenir rapidement une grande puissance agricole exportatrice. Les années 70 ont vu les premières crises de surproduction. En 1992, à cause de l’ingérence des Etats-Unis à l’OMC, la PAC va connaître un changement radical de principe, donnant naissance au premier pilier de la PAC, dont nous parlerons par la suite.

La PAC est le premier budget de l’UE (33,1 %) et représente 55 milliards d’euros par an. En France, le premier pilier représente 77 % des aides PAC et distribue des aides proportionnelles à l’hectare pour les agriculteurs. On parle « d’aides directes découplées » pour la majorité de ces dernières qui ne dépendent pas du type de culture mise en place. Une petite partie du premier pilier correspond aux « aides directes couplées », qui viennent se superposer aux aides à l’hectare pour certaines productions que l’on désire particulièrement protéger de la concurrence.

En 2003, un timide second pilier a vu le jour pour soutenir le développement rural. Il permet de soutenir les initiatives respectueuses de l’environnement, d’aider à l’installation de nouveaux agriculteur·trices (ce qui est un enjeu majeur à venir), de rééquilibrer les handicaps environnementaux entre zones agricoles (ICHN) etc…

De grands engagements… mais sans moyens pour les atteindre

L’UE a mis en place le « Green Deal », visant à réduire de 50 % l’utilisation de pesticides et de fertilisants de synthèse, ainsi que de médicaments pour l’élevage tout en augmentant les surfaces en bio de 25 % en 2050. Pour atteindre ses objectifs, l’UE a mis en place « le nouveau modèle de mise en œuvre », qui laisse plus de liberté aux Etats pour atteindre les objectifs demandés dans leurs PSN tout en ayant une plus grande marge d’interprétation. Le risque de dumping (tirer les normes vers le bas) est réel. Nous arrivons désormais sur le gros du problème : la PAC n’oblige pas à atteindre les objectifs du Green Deal, mais encourage seulement les Etats à le faire dans leurs Plans Stratégiques Nationaux (PSN). Il est facile d’imaginer que dans un marché libre comme l’UE, la législation la moins exigeante en normes environnementales ou sociales va devenir plus compétitive économiquement que les autres, poussant ses voisins à l’imiter…

Une PAC schizophrène amplifiant les inégalités

En France, 82 %des aides de la PAC tombent dans les mains de 20 % des agriculteur·trices en moyenne. Et pourtant, la PAC est essentielle car 77 % des revenus des agriculteur·trices viennent de ces aides. Il convient de comprendre le mécanisme à l’origine de ce bilan, dont les coupables sont l’aide à l’hectare et
des prix d’achat des denrées agricoles trop bas. Dans le cas d’un·e agriculteur·trice ayant beaucoup de terres, il/elle va toucher beaucoup plus d’aides que son/sa voisin·e plus pauvre. L’agriculteur·trice pauvre va donc être très sensible à la variabilité des prix et dépendante des aides, risquant de disparaître, tandis que l’agriculteur·trice riche va toucher une rente élevée. La PAC amplifie les inégalités déjà existantes, en distribuant plus d’argent aux plus riches et en tuant les agriculteurs de petites tailles tout en développant les fermes usines… alors même que son objectif officiel est l’idée contraire !

Vers une meilleure PAC !

L’aide à l’hectare pourrait être dégressive ou plafonnée. Cette simple mesure permettrait de déplacer des milliards d’euros d’aides qui enrichissent de grand·es propriétaires terrien.nes vers des fermier.ères aux modèles alternatifs ou simplement de taille plus réduite. De la même façon, il pourrait être intéressant de mettre en place une convergence des aides entre les montants alloués aux différentes régions, qui est basé sur de vieilles traditions historiques.

Le paiement redistributif, qui consiste à donner plus d’argent pour les 52 premiers hectares, est actuellement trop faible. En effet, son rôle antagoniste au fonctionnement mécanique de l’aide à l’hectare classique voit son effet annulé par ses montants dérisoires. De la même façon, les aides à l’installation ne sont pas suffisantes pour gommer la distorsion de marché généré par le fonctionnement du premier pilier.

D’un point de vue plus systémique, il pourrait être intéressant d’allouer plus d’aides à des conditionnalités sociales, de déplacer une partie des montants du premier pilier vers le second. Enfin, les aides pour protéger l’environnement sont trop permissives ! Le paiement vert n’a eu un effet de changement de pratiques que sur 5 % des terres agricoles car la conditionnalité pour le toucher est beaucoup trop facile à atteindre, augmentant le travail administratif pour les agriculteurs mais pas un changement de pratiques concret vis-à-vis de l’environnement.

Si toutes les améliorations mentionnées ci-dessus ne peuvent être directement implémentées avant la prochaine réforme de la PAC en 2027, il demeure possible de décliner dans le PSN national les propositions mentionnées à tout moment en faisant pressions sur les élus nationaux (députés, maires…).

Il ne reste plus qu’à changer les choses !

Pour aller plus loin et pour en savoir plus sur la CEAD : 

Bibliographie   :

PAC : mettre fin au règne des inégalités !, 2019, Confédération Paysanne
Comprendre la PAC, Collectif Nourrir
Atlas de la PAC, Collectif Nourrir, disponible sur :
Michel Tendil, 2019, Aides de la PAC : des inégalités toujours criantes Cash investigation – Agriculture, où sont passés les milliards de l’europe ?

Article rédigé par Paul