Le carbone est le sujet du moment, celui sur lequel nous devons agir pour lutter contre le réchauffement climatique et atteindre l’objectif zéro émission d’ici à 2050. Et pour y parvenir, beaucoup comptent sur l’innovation plutôt que sur la sobriété de nos comportements. L’innovation technologique peut-elle nous permettre d’atteindre cet objectif ? Quels sont nos leviers technologiques pour atteindre cette neutralité carbone ?
Petit rappel sur ce qu’est le carbone
Le carbone est un élément chimique qui a toujours été présent sur la Terre et qui est essentiel à toute forme de vie.
Ce qu’on appelle CO2 (ou dioxyde de carbone) est en fait la forme chimique que prend le carbone lorsqu’il est présent dans l’atmosphère et qu’il s’accompagne de deux atomes d’oxygène. Les émissions de CO2 existaient bien avant que l’Homme débarque, et sont responsables d’environ 26% de l’effet de serre qui permet une température « idéale » pour la vie sur Terre.
Vous avez déjà sûrement entendu parler du cycle de l’eau, eh bien le carbone a lui aussi son cycle. Ce dernier transite entre l’atmosphère, la biosphère, l’hydrosphère et la lithosphère au travers d’un cycle naturel qui permet le maintien d’un équilibre entre le nombre d’entrées et le nombre de sorties de CO2 dans l’atmosphère. En se baladant entre les différentes sphères de la Terre, le carbone se retrouve donc à un niveau adéquat dans l’atmosphère, celui qui permet la vie sur Terre. En effet, les émissions naturelles de CO2 sont compensées par le stockage naturel du carbone dans les autres sphères terrestres. Cela se concrétise au travers de processus eux aussi naturels comme, par exemple, la photosynthèse : les végétaux emmagasinent le carbone présent dans l’atmosphère grâce à l’énergie solaire et vont stocker ce carbone jusqu’à la fin de leur vie.
Il y a fort fort longtemps, des plantes se sont retrouvées enfoncées profondément dans les sols à cause de la vase, et ont libéré du carbone lors de leur décomposition. Ce carbone emprisonné sous terre durant des milliers d’années s’est transformé en énergies fossiles aujourd’hui tant convoitées : en charbon, en pétrole et en gaz carbonique. Un cycle vieux comme le monde et aussi bien régulé, comme la nature sait si bien le faire s’est vu perturbé par l’Homme en à peine un siècle. Lorsque l’on a compris que ce qui se cachait loin sous nos pieds pouvaient alimenter nos voitures et chauffer nos maisons, l’Homme n’a pu se retenir de surexploiter tout ça, et remettre à plus tard les conséquences que pouvaient avoir tant d’émissions de CO2 liées à l’extraction et l’utilisation de ces énergies fossiles (alors qu’on a commencé à parler du réchauffement climatique dans les années 70-80…). Sauf que voilà, nous sommes aujourd’hui « plus tard », et nous avons des dizaines d’années de pollution fossile à rattraper.
Bon OK, on a abusé, mais on peut se rattraper non ?
A force d’épuiser les énergies fossiles et de perturber l’équilibre naturel du cycle du carbone, on a bien fini par se rendre compte que nous avions créé le réchauffement climatique avec toutes nos émissions de CO2. Nous aurions pu ralentir nos consommations à base d’énergies fossiles à la suite de ce constat, mais essayer de capter du carbone pour compenser nos excès d’émissions apparait comme une meilleure solution selon les politiques publiques de neutralité carbone (la croissance avant tout !).
Il existe déjà des méthodes connues pour stocker du carbone, comme en plantant des arbres et ainsi augmenter l’effet de photosynthèse. Mais cette solution-ci est limitée et fortement discutée, pour des questions d’espace disponible et de durée de stockage… Il nous faudrait donc une solution de grande échelle et qui dure dans le temps, une solution technologique peut-être ? Un acronyme est devenu super tendance chez les chercheu.r.se.s et politicien.ne.s qui s’intéressent à la question du carbone : la CSC ou Capture et Séquestration du Carbone (CCS en anglais). L’idée, c’est de développer des solutions pour capturer du CO2 de l’atmosphère, puis parvenir à le stocker pour une durée trèèès longue (ou au moins 2051, histoire de pas gâcher les promesses de nos politicien.ne.s).
Mais comment, ça se passe la CSC ? Avant de se poser la question de capture, commençons par nous poser la question de la séquestration. Eh oui, si on arrive à capter le carbone sans savoir quoi en faire ensuite, ce ne serait pas très malin. Aujourd’hui, nous connaissons 4 moyens principaux de stocker le carbone sur le très long terme, grâce à un stockage géologique. Le premier est de réintroduire du carbone dans les réservoirs épuisés de gaz ou de pétrole (heureusement qu’on les a vidés avant … !). Une autre solution est de mettre ce carbone dans des aquifères salins très (très) profonds et qui ne représentent aucune utilité pour les espèces vivantes. Nous avons également détecté certaines veines de charbons qui sont inexploitables car trop instables pour être utilisées, mais qui pourraient stocker du carbone sans souci. Enfin, la dernière solution serait d’injecter du carbone dans des roches basaltiques. Chacune de ces solutions mériteraient une explication à part entière, mais si cela vous intéresse, n’hésitez pas à aller voir la vidéo La Capture et Séquestration de Carbone pour réduire nos émissions de CO2 de la chaîne YouTube « Le Réveilleur ».
Bon, et pour ce qui concerne le captage du carbone ? Eh bien c’est compliqué, il y a beaucoup d’approches différentes et les systèmes de captage à grande échelle coûtent aujourd’hui très chers et demandent beaucoup d’utilisation d’énergie fossile (un peu contre-productif, non ?). Sans rentrer dans les détails, la méthode principale de captage aujourd’hui pratiquée est l’utilisation d’un solvant chauffé dans lequel le CO2 va se dissoudre. Une méthode qui fonctionne davantage si le CO2 est concentré et non éparpillé dans l’atmosphère. Cela peut donc s’utiliser directement sur la cheminée d’une grosse usine par exemple ? Mais lorsque l’on sait que la CSC appliquée sur une centrale à charbon nécessite une consommation énergétique égale à 1/4 de l’électricité produite par cette même centrale, on se dit qu’on s’enfonce un peu dans un cercle vicieux.
Peut-on compter sur les technologies CSC sur le long terme pour lutter contre le réchauffement climatique ?
Bon, maintenant qu’on a éclairci l’aspect théorique de ces innovations, concrètement, on en est où dans la pratique ces solutions ? On compte en 2022 dans le monde seulement 21 sites capables de capturer et séquestrer plus de 400 000 Tonnes de CO2 par an. Ces sites capturent et séquestrent du carbone grâce aux deux premières solutions évoquées plus haut, car ce sont les seuls procédés qui sont pour le moment réellement maitrisés. Ces 21 sites permettent de capter près de 35 millions de tonnes de CO2 par an !! Dit comme ça, ça parait énorme…jusqu’à que l’on se rappelle qu’on émet environ 40 milliards de tonnes de CO2 par an (, soit environ 1140 X plus… Pour atteindre ce niveau de séquestration d’ici 2050, il faudrait pour cela que 23 940 nouveaux sites soit construits et actifs en moins de 30 ans.
Alors oui, ces chiffres simplement calculés n’intègrent pas les capacités de séquestration d’autres solutions, ni d’autres facteurs pouvant jouer sur la proportion de CO2 dans l’atmosphère, mais cela a le mérite d’être énoncé lorsqu’on se penche sur la vision de certains pour parvenir à une neutralité carbone avant 2050. Vous savez, différentes personnes et Etats ont construit des scénarios de prédictions complexes pour atteindre l’objectif 0 émission. Si l’on prend le scenario du GIEC de 2014, il est expliqué que la neutralité carbone 2050 est bien possible !! Seulement, cette prédiction-là repose en grande partie sur la performance des technologies CSC selon l’hypothèse que celles-ci pourraient capter 250X plus de CO2 qu’elles n’en sont capables aujourd’hui. Alors, à moins que le GIEC ait un super plan top secret pour mettre en marche rapidement des installations pouvant capter et séquestrer le carbone aussi intensément, on peut aisément dire que la CSC n’est pas le sacro-saint Graal qui va nous empêcher de finir cramés par le réchauffement climatique.
Il serait peut-être temps pour nous de ne pas compter uniquement sur la technologie pour agir sur nos émissions de CO2, mais peut-être plutôt de remettre en question nos activités à l’origine de ces émissions et d’inciter nos politicien.ne.s à agir lors des COP. Nous avons grandement besoin d’instaurer des politiques publiques efficaces et contraignantes, comme une taxe carbone élevée par exemple, ou tout autre contrainte qui forcera les entreprises à participer à un effort collectif quant à leurs émissions. On estime qu’il faudrait un prix du carbone au minimum supérieur à 50€ la tonne pour que les entreprises investissent sur la CSC ou vers d’autres moyens de réduction d’émissions. Les innovations, technologiques ou non, prennent du temps à se développer et surtout à être efficaces. N’attendons pas que la technologie résolve tous nos problèmes, et diversifions au maximum la recherche de solutions complémentaires pour lutter contre le réchauffement climatique et les émissions de CO2 !
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Article rédigé par Sophie Martin-Prevel