A l’aune de la COP 27, l’Egypte s’est lancée dans la transformation de l’immense cité balnéaire de Charm el-Cheikh, située entre la péninsule du Sinaï et la mer Rouge, en une ville verte. Ce projet initié en 2021 a reçu l’appui du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) qui a alloué 6,2 millions de dollars au gouvernement égyptien. Ce projet est lié à l’accueil de la COP 27 sur le territoire et fait notamment partie des impératifs que se fixe la communauté internationale pour apporter des réponses à l’urgence climatique. Toutefois, la pertinence et la durabilité des infrastructures mises en place sont douteuses, surtout lorsque l’on pense que Coca-Cola, premier pollueur plastique mondial est sponsor de l’événement…
Le projet Charm el-Cheikh pour la COP 27 et ses dessous
La COP 27 est une opportunité pour le gouvernement d’Abdel Fattah-al-Sissi de transformer l’Egypte et surtout de positionner Charm-el-Cheikh en vitrine écologique de l’Afrique du Nord devant les caméras du monde entier venues suivre cet événement de haute importance.
Le projet de ville verte pour Charm el-Cheikh s’insère dans un cadre de tourisme durable qui vise la rationalisation de la consommation des ressources à travers plusieurs moyens d’actions. Premièrement, utiliser les éléments naturels présents dans la zone avec une stratégie de désalinisation de l’eau ainsi que l’installation de panneaux solaires. Ensuite, miser sur le potentiel du recyclage en le développant et augmentant ses capacités, par exemple en valorisant énergétiquement les déchets. Enfin, l’Egypte a décidé de mettre en place des services pour les touristes et les membres de la COP à plus court terme en installant des bornes de recharge pour les véhicules électriques ainsi qu’une norme verte pour les établissements hôteliers. On peut aussi citer parmi ces exemples, la mise en place de navettes à énergie électrique pour desservir le centre des congrès de la COP.
Pour autant, certaines données viennent contrecarrer l’image de ville verte que l’Egypte tente de donner à Charm el-Cheikh. L’Egypte est le premier pays pollueur de plastique en Méditerranée et la surpollution du Nil n’en est qu’un exemple criant. Si quelques initiatives citoyennes de nettoyage du fleuve ont émergé au fil des années, et si la situation au Caire semble s’être quelque peu améliorée, l’état du Nil dans les campagnes et villages est très critique. Aussi, plus qu’une non éducation des habitant.e.s à la nécessité de trier et de ne pas polluer, c’est un profond changement structurel qui apparaît nécessaire : les habitant.e.s de ces zones n’ont aucun accès à des poubelles ou des services de ramassages de déchets, et la seule option pour échapper à la perspective d’habitations croulant sous les déchets est de les mettre dehors. Le pays a également renouvelé son engagement en faveur de l’exploitation des énergies fossiles en projetant de devenir un hub gazier régional en s’appuyant sur ses propres ressources et ce, malgré la promesse faite lors de la COP 26 d’abandonner les énergies fossiles.
Malgré tout, le pays attire sur son sol des investisseurs privés prêts à financer des projets de développement technique pouvant être associés à une forme de développement durable (des réseaux ferroviaires par exemple). Ainsi, grâce à l’organisation de la COP 27 sur son sol, l’Egypte concilie ses intérêts économiques et la promotion de son image en se plaçant en défenseur des pays pauvres et de l’environnement. Utilisant sa position de président de la COP 27, le régime d’al Sissi recherche l’aide de la communauté internationale pour l’Afrique ainsi que pour son propre pays, pointant la responsabilité des pays riches dans l’origine de la catastrophe climatique et dans la nécessité de supporter la dette climatique.
Quelle durabilité des infrastructures ?
Les intentions réelles du gouvernement égyptien en faveur de l’écologie posent de sérieux doutes. Le constat que la délégation du RESES fait est sans appel : la ville “verte” de Charm el-Cheikh est un contre exemple de la durabilité sociale pensée pour garantir aux générations présentes et futures l’amélioration du bien-être, des composantes sociales, économiques et/ou écologiques accessibles à tous.tes.
Historiquement, la ville constitue un havre de paix pour les riches touristes du monde entier et ressemble aux autres cités côtières du Sinaï, caractérisées par la bétonisation, les hôtels de luxe et les plages privées. Ces dernières aspirent toutes au statut de stations balnéaires de haut standing, laissant pour compte les populations locales, citadines ou bédouines, qui sont souvent ségrégées et dans l’incapacité d’accéder aux services inabordables proposés. On peut donc dire que la COP 27 à Charm el-Cheikh fait partie d’une opération de greenwashing à l’ampleur géographique nationale au vu de l’empreinte carbone du pays. De la même manière, l’augmentation de la pollution dans les villes ou la forte menace existentielle pesant sur les récifs coralliens qui bordent l’Egypte semblent démentir les bonnes intentions publiques exprimées par le président. Les infrastructures installées à l’occasion de la COP 27 et vouées à rester dans le paysage urbain ne semblent pas profiter à tous.tes et ne s’inscrivent certainement pas dans la logique de sobriété énergétique aujourd’hui nécessaire pour faire face à l’urgence climatique.
Pour ne citer qu’eux : des écrans géants sont postés et éclairés non stop dans la ville causant une pollution visuelle non négligeable, les pistes cyclables et les transports “verts” (navettes électriques) mises en place servent peu et leur utilisation future est douteuse. Pour l’heure, les transports majoritairement utilisés par les locaux demeurent ceux fonctionnant aux énergies fossiles, dont l’Egypte est énormément dépendante.
Enfin, les lieux fréquentés par les personnes se rendant à la COP 27 sont sur-climatisés, en extrême contraste avec la chaleur et l’aridité caractéristiques du lieu. L’organisation d’un événement lié à la sauvegarde et la préservation de l’environnement dans cette ville semble être le symbole de l’impunité dans la destruction de l’environnement . L’ironie est poussée à son comble dans cette station balnéaire qui représente un véritable paradoxe vert : elle symbolise l’illusion d’une révolution énergétique et écologique dans un milieu désertique sur fond d’exclusion sociale et de déni des droits humains. La pertinence de l’organisation de COPs dans des espaces où les politiques urbaines ne semblent pas ou peu respecter les enjeux environnementaux et sociaux de la crise actuelle est une interrogation pour tous et toutes. Cette réflexion porte également sur les conditions d’accueil des participant.e.s puisque l’installation de COPs dans ces contextes hostiles et répressifs peut déclencher des signaux d’envoi contraire aux objectifs des négociations internationales sur le climat. Tel est le sombre cas de la future COP 28 à Dubaï, en novembre 2023, ville catastrophique du point de vue écologique qui cherche à se transformer en ville durable.
Article rédigé par Maia