La conférence du 14 novembre de « From the Ground Up » organisée par la Coalition COP26 a permis d’éliminer l’idée de la croissance comme seul modèle économique possible et de réfléchir à la décroissance comme alternative à privilégier.
Enjeux de la décroissance
Une croissance infinie dans un monde fini est impossible, nous commençons enfin à l’admettre et à agir en conséquence (il était temps !). C’est pourquoi un nouveau mode de pensée et de consommation commence à se mettre en place dans les esprits : le modèle de la décroissance.
En effet, on connaît bien l’urgence à laquelle on doit faire face maintenant : réduire de manière radicale nos émissions de gaz à effet de serre et même atteindre le zéro net ou presque d’ici les vingt prochaines années. Selon beaucoup de gens, dont les intervenant·e·s de cette conférence, le moyen le plus rapide, simple et sûr de réaliser cet objectif est de réduire sa consommation (voir la vidéo de l’astrophysicien Aurelien Barrau sur la décroissance).
Ce modèle reste encore plus de l’ordre des actions individuelles, d’un concept et de réflexions personnelles que d’un mouvement à proprement parler et certain·e·s (notamment dans les commentaires de la conférence) appellent à faire les liens (“to connect the dots”) entre les différentes initiatives prises par les associations et les personnes en matière de décroissance. D’autres appellent à relier le concept de décroissance à d’autres modes de pensées ou mouvements de justice climatique, féminisme, anti-racisme, anti-capitalisme entre autres.
Le féminisme et l’écologie
L’intervenante Corinna Dengler a mis en avant le lien entre féminisme et écologie en s’appuyant notamment sur le livre de Maria Mies intitulé Patriarchy & Accumulation on a World Scale, publié en 1986. Sa réflexion reposait sur une critique féministe de l’économie actuelle qui est considérée comme étant basée sur un système patriarchal et capitaliste qui épuise les ressources de la planète et est à l’origine de la situation climatique actuelle.
De nombreux mouvements féministes tentent de se faire entendre maintenant contre l’extractivisme, les inégalités de genre, les violences contre les femmes ou encore la vision capitaliste patriarcale qui pousserait les femmes à s’occuper de la cuisine et du ménage. Elles encouragent donc à répondre à la « crise » écologique en prenant en compte cet axe de réflexion autour de la nature et des femmes considérées encore trop souvent tous deux comme des ressources à exploiter dans certaines zones du monde. (Pour plus d’information sur le lien entre féminisme et écologie, voir la conférence de Coalition COP26 sur le féminisme.)
L’impossible croissance verte
Pour les intervenant·e·s, un moyen d’avancer serait déjà de réaliser que la croissance verte est impossible pour enfin trouver un nouveau modèle économique viable pour répondre aux enjeux environnementaux.
Des participant·e·s vont même plus loin en commentaires en expliquant que les notions de « croissance verte » ou même « décroissance » nous induisent en erreur et ne sont pas les bons termes à employer, car ils s’attachent encore trop à la notion « croissance ». Il faudrait oublier complètement tout ce qu’on connaît de la croissance et changer le modèle économique en profondeur. Ils évoquent le concept d’économie régénérative ou « doughnut economics » (proposé par l’économiste anglaise Kate Raworth, voir son livre La théorie du donut, 2018) qui respecterait les besoins de chacun ainsi que les limites physiques de la planète. Cela reviendrait à baisser la consommation dans les pays riches et élever le niveau de vie dans les pays pauvres mais avec des techniques régénératives et circulaires.
La décroissance comme moyen de repenser ses besoins et de préserver son bien-être
De quoi ai-je besoin pour vivre ? De quoi ai-je besoin pour subvenir à mes besoins et être heureux ? Est-ce que la croissance et la surconsommation sont des conditions au bien-être ? Pourquoi est-ce que les humains sont toujours persuadés que la croissance est indispensable ? Comment décroître sans impacter le bien-être ? Comment les pays en développement peuvent-ils se développer sans ressources fossiles ? Que veut dire « avoir une vie décente » ?
Telles sont les questions qu’on doit se poser aujourd’hui ! La consommation infinie de ressources ne devrait plus être vue comme une nécessité pour le bien-être des humains, mais bien comme une catastrophe pour l’environnement, la santé et le bien-être de certains.
Le projet présenté par le professeur Julia Steinberger nommé « Living well within limits » (LiLi project) repose sur deux idées :
- le fait que l’empreinte écologique est inégalement répartie dans le monde (les riches utilisent beaucoup plus d’énergie par exemple)
- le fait que même s’il y a une forte corrélation entre l’usage des énergies fossiles et l’espérance de vie, l’utilisation de celles-ci ne sont pas une condition nécessaire au développement
Les acteur·rice·s de ce projet sont des chercheur·euse·s qui étudient la demande en énergie et le bien-être humain. Il·elle·s ont modélisé un modèle énergétique correspondant aux besoins pour avoir une vie décente pour les humain·e·s. Ils ont obtenu comme résultat que l’énergie suffisante pour qu’un être humain ait une vie décente en 2050 pourrait correspondre à 40% de notre consommation actuelle en énergie, même avec la hausse de population annoncée.
Une décroissance mais surtout une nouvelle manière de vivre
En conclusion, la question de la décroissance est aussi une question de rééquilibrage des conditions de vie dans le monde. C’est aussi une question de sens qu’on veut donner à sa propre vie, de conditions au bonheur et au bien-être, de ce qui compte vraiment. Des questions doivent être posées, des réflexions doivent être faites et une transition dans différents secteurs et à différentes échelles doit être mise en place.
Pour finir, Vincent Liegey propose un modèle de démocratie plus directe pour réinventer une nouvelle économie : inviter les citoyen·ne·s à réfléchir à ce dont ils ont réellement besoin et les faire participer plus directement aux décisions d’un pays (en prenant l’exemple de la Convention Citoyenne pour le Climat).
Article rédigé par Cécile Tassel, bénévole au REFEDD, membre de l’équipe qui suit l’actualité en lien avec la COP26.
Intervenant·e·s de la conférence :
- Vincent Liegey, auteur – Exploring Degrowth
- Julia Steinberger – Université de Lausanne et co-auteure principale au GIEC
- Elliot Hurst, Degrowth Edinburgh, co-auteur du blog degrowth.info
- Corinna Dengler, Feminisms and Degrowth Alliance (FaDA)
Une conférence organisée en collaboration avec : Degrowth Edinburgh, Cargonomia
Autres réflexions sur la croissance verte et la décroissance :
- A Green New Deal without growth? Riccardo Mastinia, Giorgos Kallisa , Jason Hickel, 2020
- Jean-Marc Jancovici sur la décroissance : l’économie peut-elle décroître ?
- Pour aller plus loin, voici ce super mooc (gratuit) sur l’écologie politique réalisé par le philosophe Dominique Bourg de l’université de Lausanne dans lequel les concepts de croissance verte, durabilité faible ou forte ou encore de décroissance sont analysés : https://www.coursera.org/learn/ecologie-politique