Faire le bilan de l’action des Etats, inclure la société civile : les COP au défi de leur légitimité

De plus en plus critiquées pour leur manque de résultats, présentées comme des instances déconnectées des citoyen.nes, les COP (Conférences des États signataires) et leur légitimité-même sont aujourd’hui remises en cause. À l’heure du Bilan Mondial sur l’Accord de Paris, cette légitimité dépend de la capacité des gouvernements à démontrer qu’ils sont aptes à rendre compte de façon transparente de leur action contre le réchauffement climatique. Rapprocher la COP des citoyen.nes suppose également de donner une plus grande place à la société civile dans son processus. Ces deux sujets ont fait l’objet d’une attention particulière de la délégation du RESES pendant les 58ème intersessions de Bonn. 

Un Bilan Mondial retardé, une crédibilité en péril

Le bilan mondial (“Global Stocktake” en anglais) est le rapport d’étape obligatoire que doivent rédiger collectivement les Etats avant la COP28. Etabli tous les cinq ans, ce document fait le résumé d’où nous en sommes de l’atteinte des objectifs fixés par l’accord de Paris, mais doit également fixer l’orientation des mesures à prendre en réponse à ce bilan. Le degré d’exhaustivité, de transparence et de clarté dudit document déterminera la façon dont la société civile pourra juger l’action de son gouvernement. La communication de ce rapport constitue donc un moment crucial de redevabilité des Etats vis-à-vis de leurs citoyen.es.

Aux intersessions de Bonn, les discussions techniques sur la forme du bilan devaient arriver à leur terme. Malheureusement, les négociations à ce sujet bloquent encore car les pays dits “grands émergents” comme la Chine ou l’Inde souhaitent un rapport organisé par thématiques (Atténuation, Adaptation, Finances). Les Etats-Unis et l’Union européenne souhaitent quant à eux un rapport structuré en deux grands temps : un bilan général puis les réponses politiques à apporter. Ils argumentent qu’une organisation thématique laisserait la porte ouverte à ce que des pays très émetteurs puissent déclarer publiquement qu’ils “compensent” leur bilan faible sur l’atténuation grâce leur bilan sur le volet adaptation.

Pour les Grands émergents, l’intérêt d’avoir une organisation thématique est de pouvoir placer la question du financement au cœur des futures délibérations sur le Bilan Mondial. Or, comme souvent, c’est au moment d’évoquer les questions financières que les pays développés – Etats-Unis en tête – bloquent toute discussion. 

Du fait de ces blocages, les Etats se sont uniquement mis d’accord sur une structure indicative à rediscuter en octobre. Le risque que pointe la plupart des négociateurs, quelque soit leur position, est qu’à cause de ce retard dans les discussions sur la forme du rapport, la phase politique qui déterminera son contenu risque de se faire en décembre, dans la précipitation de la COP, ce qui nuirait fortement à la qualité et la portée politique du Bilan Mondial.

Ce temps serré pour élaborer le contenu est d’autant plus inquiétant que cette phase est également censée intégrer les contributions de la société civile. Objet crucial de redevabilité, un bilan mondial non-exhaustif, dont le fond aurait été élaboré à la va-vite et sans portage politique risque de nuire gravement à la crédibilité de l’ensemble du processus de la COP vis-à-vis des citoyen.nes.

Quelles avancées pour la place de la société civile aux COP ?

Pour être légitime, le processus de la COP doit garantir son ouverture aux jeunes, aux peuples autochtones, aux personnes d’un genre marginalisé, à la société civile dans sa diversité. Dans le cadre des COP, l’interaction entre les citoyen.nes et les politiques de leurs gouvernements est discutée dans deux sujets dits “transversaux”. Sous l’item de négociation Genre, les discussions portent sur l’intégration des enjeux de genre dans les politiques des Etats. Les négociations sur l’item ACE (Action for Climate Empowerment) traitent quant à elles de la montée en capacité des citoyen.nes sur les sujets climatiques, et ce via six leviers : l’éducation aux enjeux environnementaux, la formation, la sensibilisation du public, la participation du public aux politiques environnementales, l’accès public aux informations et la coopération internationale sur ces enjeux.

Les items Gender et ACE ne faisaient pas l’objet de négociations pendant ces intersessions mais ont été discutés dans le cadre de “dialogues”, des ateliers de travail plus informels dans lesquels les représentant.es nationaux.ales échangent sur la mise en oeuvre des plans d’actions sur le genre ou ACE dans leurs pays. La plupart des délégué.es nationaux.ales se désolaient que les questions de genre ou de montée en capacité des citoyen.es soient reléguées au second plan, dans le cadre des COP mais également au plan national. Nombre de représentant.es soulignaient également le manque d’un référentiel commun sur ces sujets. La négociatrice française en charge des items ACE et Genre soutenait qu’il est par exemple difficile de fixer une définition commune de la participation citoyenne avec des gouvernements autoritaires. 

La question de la participation de la société civile a également été évoquée dans le cadre des négociations entre Etats sur l’item appelé “sujets inter-gouvernementaux”. Ces négociations ont été marquées par les interventions fortes de la cheffe de la délégation mexicaine pour témoigner des harcèlements subis par des membres féminines de sa délégation lors de la dernière COP. Les discussions sur ce thème ont abouti à un texte final indiquant que l’hôte de la COP doit garantir une « participation effective et inclusive des partis et observateurs » et que celle.eux-ci doivent être protégé.es « contre toutes violences où abus incluant le harcèlement et le harcèlement sexuel ». Le texte souligne également que la charte d’accueil de la COP, établie entre le secrétariat des Nations Unies et le pays hôte, “devrait être rendu public”.

Il ne s’agit que de mots mais, une fois inscrite dans un texte adopté par l’assemblée plénière, une formule acquiert une légitimité juridique et, surtout, elle entre dans le champ des “langages accrédités” pour les négociations à venir, c’est-à-dire les formules sur lesquelles les parties ne reviendront pas et qui pourront être utilisées dans d’autres textes ou pour d’autres sujets. Or, en trente ans de négociations sur l’item “sujets inter-gouvernementaux”, aucun texte final n’avait jamais contenu de mention des droits humains et celui-ci en contient cinq. 

En revanche, garantir un espace sûr et une expression audible pour la société civile demande plus de moyens financiers et humains pour le secrétariat de la COP et, dans un sujet de négociation appelé “Sujets administratifs et institutionnels”, les Etats ont adopté un budget pour le secrétariat se situant dans la fourchette basse des différents scénarios budgétaires envisagés. De plus, il est fondamental que la société civile de toutes les régions du monde puisse participer ce qui, comme le soulignait un représentant de la Chine, est loin d’être le cas puisque près de 66% des observateur.ices de la société civile viennent d’Europe du Nord. 

Même si on peut noter les évolutions positives de certains Etats sur la question de l’inclusion de la société civile, ou d’autres avancées sur la lutte contre les conflits d’intérêts, les COP doivent encore évoluer en profondeur pour devenir des instances plus inclusives, et ainsi plus légitimes.

Article rédigé par Luc

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