Au cours des négociations internationales sur le climat, la question des financements revient très fréquemment. Qu’en est-il ? Comment sont-ils structurés ? Quelles sont les perspectives pour la suite ? Claire, étudiante de notre délégation aux Intersessions COP27 analyse le contexte.
Un récapitulatif du contexte
Pour commencer, revenons aux fondamentaux. L’accord de Paris a été signé en 2015 lors de la COP 21. Il incite les Parties à expliciter des contributions déterminées au niveau national (CDN, ou NDC en anglais). Ces dernières correspondent à des objectifs nationaux de participation à la réduction d’émission de gaz à effet de serre avec obligation de communiquer régulièrement à ce sujet.
L’article 6 de l’Accord de Paris est source de débats sur le thème de la finance. Il contient au total 9 alinéas (soit presque deux pages) qui traitent des conditions de mécanismes financiers pour le décompte des émissions entre pays. Il s’agit à l’origine de coopération volontaires entre les Parties dans l’objectif d’atteindre leurs CDN. La trentaine de pages de l’Accord de Paris a certes été signée en 2015, mais il reste à se mettre d’accord sur un certain nombre de ses conditions de mise en application. Plusieurs alinéas de l’article 6 (notamment les 2, 4 et 8) sont ainsi sujets de négociations pour savoir comment les interpréter et ce qui doit en découler plus concrètement. Pour plus d’explications sur certains points de divergence entre Parties, vous pouvez retrouver notre article lors de la COP25
Quid des mécanismes financiers prévus par l’article 6 ?
Dans les négociations, il est question de marchés carbone, c’est-à-dire de systèmes d’échanges de droits d’émission de GES, de crédits et quotas carbone. Les mécanismes de l’article 6 sont donc notamment censés encadrer des processus de compensation carbone. Les stratégies de neutralité carbone ou de net-zéro reposent souvent là-dessus. Or le Réseau Action Climat (RAC, antenne française du CAN Climate Action Network) émet un avis tranché : « La compensation carbone détourne de l’effort prioritaire de réduction d’émissions et met en péril l’objectif de 1,5°C. Ce n’est pas un hasard si les principaux pollueurs ont multiplié les annonces de neutralité carbone et fait la promotion des marchés carbone pendant la COP26 : cela permet de continuer leur ‘business as usual’ prédateur pour le climat, la biodiversité et les droits humains. ».
Effectivement, si l’on émet 10 et que l’on achète à un pays qui pollue très peu des crédits carbone équivalent à 10, in fine on dit que l’on a émis 0, mais les habitudes peuvent être inchangées dans le pays pollueur. Néanmoins, cela peut rester un bon moyen d’inciter les pays développés à agir, en finançant des projets étrangers ou bien en agissant localement pour éviter de payer les coûts des droits d’émission (si ceux-ci sont suffisamment élevés). Le travers des précédents marchés carbone est également le danger qu’il n’y ait aucune additionnalité de certains projets.
L’additionnalité, c’est la valeur ajoutée réelle, et pas simplement un empêchement de destruction. Ainsi, si l’on entre sur le marché carbone des actions telles que des préservations de forêts, l’additionnalité est questionnable car le CO2 aurait naturellement été capté si la forêt était laissée telle quelle. De plus, la forêt peut être détériorée naturellement ou par accident et alors sa valeur sur le marché peut diminuer après le décompte des émissions de GES des Parties. Il y a en revanche additionnalité pour un projet de reforestation diversifiée et raisonnée, qui peut alors apporter une plus-value environnementale.
Les marchés carbone posent également des questions de droits humains : les droits fonciers sont difficilement reconnus dans certains pays du Sud, or c’est souvent le lieu des rédemptions du Nord. Des indigènes quittent parfois leurs terres pour que des projets entrent dans les cases de la compensation des pays développés. « Ceux qui achètent les forêts et les terres veulent accroître leur capacité de séquestration du carbone. Dans les faits, cela veut dire que les communautés indigènes ne peuvent plus venir y chasser, pêcher ou même venir cueillir des plantes pour se soigner », selon la représentante de Indigenous Climate Action à Reporterre.
Pour ces diverses problématiques, certaines Parties souhaiteraient donc négocier que l’article 6 exclue les activités directement liées aux terres. Une action de réduction des émissions sur un marché carbone se doit d’être réelle, mesurable, vérifiable, permanente et additionnelle. Certains restent favorables aux marchés carbone s’ils respectent cette dernière condition et s’ils sont respectueux des droits humains, car ils permettent tout de même le financement de la transition environnementale, notamment dans les pays en développement.
Les questions finance en dehors de l’article 6, ça correspond à quoi ?
Les négociations finance ne gravitent pas uniquement autour de l’article 6. A vrai dire, chaque sujet est plus ou moins relié directement à la question du financement. On note par exemple l’aide financière et technique de pays développés pour la transparence des Parties sur les résultats environnementaux, l’épineuse question du financement de l’adaptation, ou encore les actions bruyantes de la société civile pour demander le financement de Loss & Damage.
Sur l’ensemble des sujets, une tension entre pays du Nord et du Sud se cristallise. Cette séparation est assez surprenante géographiquement, à voir la carte des pays du G77 (coalition des pays en voie de développement) :
Les pays en développement sont historiquement les moins responsables du dérèglement climatique, majoritairement les plus touchés, et bien souvent les moins en mesure de financer des mesures climatiques. Les questions tournent donc souvent autour des modalités de financements climatiques des pays développés vers les pays en développement. Ces derniers ont ainsi fait des promesses : « les « 100 milliards de dollars par an » sont un engagement conjoint des pays développés pris à Copenhague [lors de la COP15] en 2009 afin de mobiliser, à partir de 2020, des financements publics et privés, y compris de sources innovantes, en faveur des pays en développement pour financer leurs actions de lutte contre le changement climatique. », comme l’explique le Ministère français de l’Économie et des Finances
Lorsque l’on dit que dans les négociations, chaque mot a son importance, cela peut parfois bien s’expliquer. Petit test : repérez le mot crucial.
Accord de Copenhague, COP15, 2009
« Dans l’optique de mesures concrètes d’atténuation et d’une mise en œuvre transparente, les
pays développés adhèrent à l’objectif consistant à mobiliser ensemble 100 milliards de dollars
par an d’ici à 2020 pour répondre aux besoins des pays en développement. »
L’avez-vous repéré ? Il est question de « mobiliser » (« mobilize » dans la version originale en anglais), non pas de « donner ». De même, on parlera « d’enveloppe de 100 milliards », terme un peu flou. Les fameux 100 milliards par an peuvent donc correspondre à des prêts, par exemple s’il s’agit de projets qui génèrent ensuite des activités économiques (métros, panneaux solaires…).
Il est important de regarder quels projets sont financés. Puisque certains génèrent ensuite des retours sur investissements (contrairement à des réserves naturelles par exemple, qui sont dans une autre catégorie où il serait préférable de donner plutôt que de prêter), les pays développés peuvent les aider en acceptant de leur prêter de l’argent pour lancer l’activité. Cela est alors bien comptabilisé dans les 100 milliards par an, même si l’argent sera récupéré un jour. Néanmoins sans ces prêts, les projets auraient probablement été en trop grande difficulté pour trouver des prêteurs fiables et n’auraient pas vus le jour.
L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, dont les pays membres sont pour la plupart développés) a réalisé plusieurs rapports qui résument les fonds mobilisés par les pays développés pour les pays en développement de 2013 à 2019.
On peut observer ici une augmentation notable depuis 2013, passant de 52,2% de l’objectif rempli à 79,6%. Néanmoins, les sommes non mobilisées par an s’accumulent et pénalisent lourdement les actions prévues dans les pays en développement qui comptaient à ce que l’engagement soit tenu.
Quelles sont les structures actuelles de financement ?
Il existe deux principaux fonds pour le climat :
- Le Fonds Vert pour le Climat (GCF, Green Climate Fund). Mécanisme des Nations Unies depuis 2010 (COP16 de Cancun au Mexique). Objectif : allouer à terme ses ressources de manière équilibrée entre atténuation et adaptation. Des réserves sont cependant émises dans les pays développés puisqu’il n’y a pas de mesures d’adaptation universelles, clairement définies, qui empêcheraient des acteurs notamment privés d’avoir un mauvais usage des ressources du fonds [9].
- Le Fonds pour l’environnement mondial (GEF, Global Environment Facility). Créée en 1991, organisation indépendante en partenariat avec les institutions internationales, les ONG et des acteurs privés engagés [10].
Ainsi que d’autres :
- Le Fonds d’Adaptation. Créé en 2017, alimenté majoritairement par une taxe internationale qui découle du Protocole de Kyoto et qui se base sur le Mécanisme de Développement Propre (Clean Development Mechanism, CDM) par compensation carbone.
- Le Fonds Multilatéral du Protocole de Montréal. Créé en 1991.
Il est indiqué dans l’Accord de Copenhague qu’une portion significative des 100 milliards par an devait passer par le Fonds Vert pour le Climat (GCF, Green Climate Fund). Néanmoins, cela correspond, combiné aux autres fonds existants, à la ligne « Multilateral climate funds » du tableau : au plus 3,8 milliards de dollards seulement par an. Nous pouvons ainsi constater que la plupart des 100 milliards ne passent en réalité pas par les fonds originellement dédiés mais principalement par des banques de développement multilatérales (30 milliards en 2019), du financement public bilatéral direct (28,8 milliards en 2019) ainsi que par du financement privé (14 milliards en 2019).
Les banques de développement multilatérales sont par exemple la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, la Banque asiatique de développement et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Il existe également des organisations comme la FAO (Food and Agriculture Organization), agence spécialisée de l’ONU depuis 1945.
Le cœur des problèmes est souvent l’argent. Qu’est-ce qui pourrait pousser les pays développés à respecter leurs engagements en matière de soutiens financiers ?
Une table ronde liée au bilan mondial indiquait qu’on avait les capitaux financiers mondiaux disponibles pour l’action climatique. Cependant, cela ne suit pas à cause de nombreux blocages, et on continue à financer des énergies fossiles. Les pays développés n’ont toujours pas réussi à respecter leur engagement de mobiliser 100 milliards par an pour soutenir l’action des pays en développement. Ils espèrent néanmoins que l’objectif soit réalisé cette année. En parallèle, ils négocient un nouvel objectif financier post 2025, the New Collective Quantified Goal.
Les blocages sont sensiblement liés aux engagements nationaux. Le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris a ainsi été très préjudiciable. La France donne déjà environ 6 milliards par an sur l’objectif mondial de 100. Elle fait ainsi partie des plus grands donateurs avec l’Allemagne et le Japon. Il faut avoir des volontés politiques nationales fortes pour mobiliser suffisamment d’argent, et cela potentiellement au détriment d’autres secteurs. Néanmoins il serait bon de se rendre compte que réorienter certains financements dans le cadre de la transition environnementale est collectivement une solution gagnante à court comme à long terme.
L’intérêt collectif doit primer devant les intérêts individuels. L’inaction climatique coûterait plus cher, tandis que le financement environnemental est bénéfique pour les écosystèmes, pour notre génération et les suivantes.
Aussi, tout comme il y a eu une course à l’annonce d’objectif de neutralité carbone (l’UE s’est engagée en premier et a ensuite été suivie par de grands pays), il faudrait également que se profile ce cercle vertueux en faveur d’engagements financiers ambitieux.
Des articles complémentaires
- COP26 : Pourquoi notre planète ne peut être sauvée sans les peuples autochtones ?
- Les inégalités environnementales en France et dans le monde
- Éducation et justice climatique avec Notre Affaire à Tous
- Où en est la question des pertes et préjudices dans l’agenda international ?
Article rédigé par Claire, délégation étudiante RESES pour les intersessions