COP26 : Pourquoi notre planète ne peut être sauvée sans les peuples autochtones ?

Avant de me rendre à la COP26, j’imaginais ce sommet comme un véritable lieu d’échanges, réunissant l’ensemble des représentants étatiques, des scientifiques, des compagnies privées, des ONG, et bien sûr des peuples autochtones et communautés locales du monde entier. Si j’étais bien consciente que tous ces acteur.trice.s n’avaient pas le même poids dans les négociations et les prises de décision, j’avais espoir que les minorités puissent au moins être entendues, de manière à parvenir au meilleur compromis possible pour l’avenir de notre planète. Au long de cet article, je vais donc retranscrire les revendications des populations autochtones, et leur intégration au sein de cette 26ème COP.

Les menaces auxquelles font face les populations autochtones

Durant mes premiers jours à Glasgow, je me suis vite rendu compte que les peuples autochtones n’étaient pas là par choix. Venus des quatre coins du monde, ils laissaient derrière eux des territoires en lutte, dans l’espoir d’obtenir un véritable soutien de la part de la communauté mondiale.

Comme l’a rappelé à plusieurs reprises le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres, l’humanité mène actuellement « une guerre contre la nature », perturbant près de 75 % de la surface de la Terre et plaçant environ un million d’espèces animales et végétales sur la liste des espèces menacées. Mais derrière le terme « humanité » se cache en réalité de profondes inégalités et injustices, divisant les responsables et les victimes de cette crise. Les peuples autochtones sont en effet particulièrement exposés au dérèglement climatique.

Feux de forêts, fonte des glaces, érosions des sols, montée des eaux, sont autant de menaces auxquelles iels sont confronté.e.s et doivent s’accommoder chaque jour. À cela s’ajoutent de violentes persécutions de la part de certains États et grands groupes industriels, les privant de leurs libertés, de leurs droits, de leurs terres, et impactant directement leur condition de vie (accès à l’alimentation, à l’eau, ou encore aux plantes médicinales traditionnelles).

Ainsi, d’après un article du Guardian, près de 1000 défenseur.euse.s des droits humains ont été assassiné.e.s depuis les Accords de Paris, il y a près de six ans. Parmi eux, un tiers étaient des autochtones, ayant pour la plupart joué un grand rôle dans la lutte contre la déforestation, l’extraction minière, ou encore l’agro-industrie. Et cela continue encore aujourd’hui. A peine un mois depuis leur retour de Glasgow, plusieurs chefs autochtones brésiliens ont déjà subi des menaces et agressions de la part de représentants fédéraux, et de nombreuses habitations ont été incendiées. Enfin, la déforestation de l’Amazonie n’a cessé de s’accroître, passant de 21 % à 22 % durant la COP26, alors même que les représentants brésiliens maintenaient que celle-ci s’était stabilisée. 

Depuis quelques dizaines d’années, de nombreu.x.ses acteur.trice.s du monde de la conservation sont également responsables de ce que le chercheur Guillaume Blanc nomme « le colonialisme vert », visant à « ré-ensauvager » les terres dans l’objectif de mieux les protéger, en dépit des populations locales. L’ONG Survival dénonce ainsi de nombreuses expropriations, violations des droits humains, accaparement des terres, en lien avec des projets de création de parcs nationaux et de solutions fondées sur la nature (NBS). 

La vision de la nature des peuples autochtones

Malgré leur diversité et multiplicité, j’ai pu remarquer que les peuples autochtones s’accordent tous sur un même point : La nature est notre alliée la plus précieuse dans la lutte contre le changement climatique, et sa protection constitue aujourd’hui l’enjeu prioritaire. Ainsi, les peuples autochtones ne se considèrent pas comme des propriétaires de la nature, mais de simples gardiens qui garantissent sa préservation. Cette nuance, qui peut paraître simple en apparence, exprime en réalité l’extrême disparité qui sépare leurs visions de la nature de la nôtre, et que l’anthropologue Philippe Descola analyse sous le prisme des ontologies. Nos sociétés occidentales modernes, dites « naturalistes », croient en une continuité des physicalités, mais une discontinuité des intériorités.

Pour simplifier, nous considérons le corps humain comme faisant partie d’un tout, dont toutes les entités sont composées des mêmes substances, mêmes atomes, mêmes compositions chimiques, mais en revanche seul l’homme est capable d’avoir une âme et donc une intériorité. De ce fait, son aptitude à rêver, à penser, à être traversé par des émotions le sépare de son environnement et forge une dualité entre ce que son intériorité crée, sa culture, et le reste, la nature, avec laquelle il n’entrevoit pas de communication possible. Cette vision dichotomique du monde est aussi celle qui fonde sa représentation du changement climatique, aujourd’hui dominante sur la scène internationale.

Elle se traduit en effet par des explications fortement liées aux sciences naturelles comme la physique, la chimie, la biologie ou la géologie, sciences qui étudient cette entité indépendante de l’homme, la nature. À l’inverse, chez les populations autochtones, il est très courant de rencontrer une « ressemblance des intériorités », où l’homme et la nature font partie d’un tout, et sont intimement liés par l’esprit, la force vitale, le rêve ou encore les totems.

Pour beaucoup d’autochtones d’Amérique du Sud, cette croyance repose sur la « Pachamama », la terre-mère, perçue comme une divinité incarnant le vivant et tout ce qui le compose : humains, animaux, végétaux, minéraux, etc. Ainsi, une jeune femme autochtone de la communauté brésilienne Terena m’a expliqué : « Ils sont en train de négocier notre propre mère, ils mettent un prix sur la femme qui nous a donné la vie »

Cette vision de la nature représente bien plus qu’une simple croyance. Elle a permis aux peuples autochtones de développer de multiples savoirs et pratiques autour de la préservation de l’environnement, mais aussi en sciences médicinales, en aménagement territorial, en gestion des ressources naturelles, etc. Ce n’est pas un hasard si les territoires autochtones contiennent aujourd’hui 80 % de la biodiversité terrestre, alors que ces derniers ne représentent que 6 % de la population mondiale.

Pour Philippine Vicky Tauli-Corpuz, consultante spéciale auprès des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, « Il vaut toujours mieux laisser les populations autochtones s’occuper elles-mêmes de la préservation de leurs territoires comme elles le font depuis toujours, et surtout arrêter de les criminaliser quand elles se battent contre la construction de barrages hydroélectriques ou l’exploitation des sous-sols ».

Leurs revendications dans les négociations internationales 

D’après un article de GEO, au moins 503 lobbyistes de l’industrie fossile (Shell, BP, Gazprom, TotalEnergies, Engie…) étaient présent.e.s à la COP26 : c’est deux fois plus que le nombre de représentant.e.s officiel.le.s des peuples autochtones.

Cette sous-représentation peut être expliquée, d’une part, par les restrictions anti COVID réservant l’accès à la COP26 uniquement aux personnes vaccinées. Or, si les autochtones ont de plus en plus accès aux vaccins, nombre d’entre eux.elles continuent d’être assez méfiant.e.s envers ces derniers, par peur d’être utilisé.e.s comme cobaye médical.e comme cela est déjà arrivé dans le passé, au Canada notamment. D’autre part, l’absence des représentant.e.s autochtones peut s’expliquer par leur éloignement géographique de la COP26, qui s’est majoritairement tenu dans des pays du Nord ces dernières années. Pour beaucoup, se rendre à Glasgow représentait des sommes inenvisageables, en termes de déplacement, de logement, ou encore de visa. 

Même au sein de la COP26, la défense des droits autochtones ne semblait pas au cœur des préoccupations. Excepté au sein du pavillon autochtone, très peu de négociations et conférences se sont saisies du sujet, et il était particulièrement compliqué pour eux de faire entendre leurs voix. Leurs revendications étaient pourtant nombreuses. 

Une bonne partie de celles-ci concernait l’Article 6 de l’Accord de Paris, qui établit les règles du marché carbone entre les pays et les multinationales pour les années à venir. À l’heure actuelle, cet outil de marchandisation du CO2 contient de nombreuses failles, et sert surtout à maintenir les droits à polluer des plus gros émetteurs. Sans parler des nombreuses incertitudes vis-à-vis de leur efficacité, c’est surtout les diverses violations des droits humains engendrées par ces projets qui inquiètent le plus les peuples autochtones.

Dans une interview accordée à Médiapart, la représente autochtone brésilienne Sonia Guajajara explique ainsi : « Les projets de compensation carbone marchandisent la Terre, et les entreprises l’accaparent au détriment des peuples autochtones. Les gouvernements ne parlent que d’innovations technologiques, de capture de CO2, ou de marché carbone face au réchauffement global, mais une solution sociale existe déjà : protéger les territoires autochtones ».

Pour cela, les peuples autochtones demandent aux gouvernements et bailleurs de fonds privés  de soutenir le plan « Amazon 80×25 » visant à assurer la protection et la reconstitution de 80 % de la forêt amazonienne d’ici 2025. La réalisation de cet objectif requiert plusieurs engagements : 100 % des terres indigènes légalement reconnues et délimitées et l’allocation de ressources financières permanentes pour permettre leur titrage et leur expansion ; la restauration d’au moins la moitié des zones forestières dégradées ; et l’arrêt des activités industrielles pour mettre fin à l’extraction des combustibles fossiles d’ici 2025.

Si l’objectif est ambitieux, une première victoire a cependant été obtenue à la COP26, puisque le Royaume-Uni, la Norvège, l’Allemagne, les États-Unis, les Pays-Bas et des donateurs privés se sont engagés à soutenir la protection des territoires autochtones à hauteur de 1,7 milliard de dollars au cours des quatre prochaines années.

Ces efforts restent malheureusement insuffisants. En effet, si le soutien financier des États représente une aide essentielle aux peuples autochtones, cela ne constitue en rien une solution durable pour l’avenir de notre planète. Nous ne pouvons continuer à considérer la nature comme un simple instrument économique du capitalisme, et il est pour cela urgent de repenser notre relation à l’environnement, et plus largement l’ensemble de notre rapport au vivant, pour changer de direction.

Cela est cependant encore possible, et de nombreux.ses leaders autochtones gardent d’ailleurs espoir en l’avenir. La jeune militante Txai Surui a ainsi assuré à l’AFP : « J’espère ne plus devoir revenir. J’espère que bientôt, les gens se rassembleront ici pour parler des belles choses qu’ils auront accomplies, de la justice climatique ».

Alors, comment aider ?

J’ai eu l’occasion de poser cette question à plusieurs représentant.e.s autochtones au cours de la COP. L’un d’eux m’a répondu ceci : « Nous nous battons déjà quotidiennement pour la préservation de nos terres et notre survie. Nous ne pouvons plus compter sur les Etats pour nous venir en aide. Ce que nous attendons de vous désormais, c’est que vous partagiez notre lutte, que vous défendiez notre cause, en adoptant un comportement et une consommation responsable, en vous informant et en informant les autres, en venant à notre rencontre ».

Vous pourrez donc trouver ci-dessous de multiples liens vers des organisations autochtones, permettant de s’informer, de prendre contact, ou encore de s’engager.

Pour aller plus loin

Vidéos des discours de personnes autochtones : 

D’autres associations pour se renseigner sur le sujet :

Et quelques articles du RESES sur les autochtones, mais aussi les inégalités environnementales :

Si jamais vous cherchez un bilan plus général sur la COP26 rendez-vous ici !

Cet article a été rédigé par Nouma Khaznawi.