Pour marquer le moment où aurait dû se dérouler la COP, la Coalition COP26 a organisé un rassemblement mondial offrant un espace d’échange et d’élaboration de stratégies pour la justice climatique. Des réflexions ont par exemple été proposées sur la décroissance ou l’obstruction de la transition, à retrouver sur notre blog. Cet article revient sur la conférence du 13 novembre qui se proposait de distinguer les fausses promesses des vraies solutions concernant le climat.
Pourquoi parle-t-on de fausses solutions ?
Le réchauffement climatique fait l’objet d’un consensus scientifique. Les décideur·euse·s politiques et économiques du monde entier l’ont intégré. De fait, de nombreuses solutions à la crise climatique sont proposées. Certaines sont intéressantes, mais d’autres ne règlent pas le problème climatique à sa source. Elles ont même toutes les chances de l’aggraver.
Ces solutions sont dénoncées comme fausses par les associations de protection de l’environnement pour plusieurs raisons. Elles peuvent être plus polluantes que les technologies qu’elles ont vocation à remplacer. Par exemple, certains agrocarburants (huile de palme, canne à sucre…) émettent plus de gaz à effet de serre que des combustibles fossiles, si l’on tient compte de l’impact des changements d’affectation des sols nécessaires pour les produire. De plus, elles s’attachent à augmenter les “émissions négatives” plutôt que de réduire les émissions réelles. Certaines de ces solutions exploitent la capacité de la biosphère à absorber le carbone. On parle alors de “solutions fondées sur la nature”. D’autres reposent sur des technologies de captage et de stockage du CO2, loin d’être toutes matures et déployables à grande échelle.
Les fausses solutions ont en commun de ne pas s’atteler à la tâche urgente de réduire nos émissions. Elles partagent en outre une terminologie séduisante, mais surtout très floue à y regarder. Justement, la conférence examinait entre autres la géo-ingénierie et l’objectif de zéro émission nette.
La géo-ingénierie pour “corriger” le climat
La géo-ingénierie désigne des techniques qui visent à manipuler et modifier délibérément le climat et l’environnement afin de corriger les dérèglements – causés par les activités humaines – à grande échelle et à court-terme.
Gopal Dayaneni, qui fait de la veille technologique pour ETC Group, insiste sur les termes de cette définition. D’abord, le caractère délibéré de l’altération du fonctionnement de la géophysique naturelle de la Terre. Quand nous brûlons des combustibles fossiles, nous perturbons malgré nous le système Terre (les économistes parlent d’externalité). La géo-ingénierie le fait à dessein. Ensuite, l’ambition macroscopique de la géo-ingénierie : il s’agit de modifier le fonctionnement de la planète entière. Enfin, les tenants de la géo-ingénierie “invoquent l’urgence climatique pour recourir à des mesures improbables, expérimentales et instables”.
Vers des perturbations atmosphériques volontaires ?
Mais de quoi s’agit-il concrètement ? A Harvard, les géo-ingénieurs du projet SCoPEx veulent simuler une éruption volcanique pour filtrer les rayons du soleil et ainsi rafraîchir le climat. Au large du Canada, l’entreprise Haida Salmon Restoration a déversé 100 tonnes de sulfates de fer dans l’océan, dans le but de le “fertiliser” et d’accroître la quantité de phytoplancton, en baisse inquiétante. Gopal Dayaneni a aussi mentionné l’Arctic Ice Project, anciennement Ice911. Cette ONG disperse des microsphères creuses de silice sur la glace de l’Arctique avec l’intention d’augmenter le pouvoir réfléchissant de la glace polaire et d’en ralentir la fonte. La fondatrice de l’ONG semble toutefois indiquer qu’il ne s’agit pas de géo-ingénierie, ou alors de “géo-ingénierie douce”.
Gopal Dayaneni rappelle que la géo-ingénierie est financée par Shell, Exxon Mobil ou Bill Gates. Ce dernier soutient le projet SCoPEx depuis plusieurs années. La géo-ingénierie est historiquement soutenue par des politiciens conservateurs. Elle « promet de répondre aux préoccupations liées au réchauffement climatique pour seulement quelques milliards de dollars par an. Au lieu de pénaliser les Américains ordinaires, nous aurions la possibilité de lutter contre le réchauffement climatique en récompensant l’innovation scientifique », expliquait en 2008 le républicain Newt Gingrich.
Mais Gopal Dayaneni rappelle que de plus en plus de scientifiques, de gouvernements et d’ONG envisagent la géo-ingénierie comme une solution crédible. Les scénarios du GIEC intègrent désormais certaines techniques de géo-ingénierie, notamment depuis son cinquième rapport d’évaluation publié en 2013.
Viser le « zéro net » sans réduire les émissions ?
Les solutions rattachées au “zéro émission nette” ont aussi le vent en poupe. Cet objectif était d’ailleurs au centre du Dialogue sur le climat organisé par les Nations Unies fin 2020. Objectif louable, il cesse de l’être quand on fait abstraction des émissions réelles (ou brutes) et qu’on se focalise uniquement sur la compensation de ces émissions (dites “émissions négatives”). Les émissions négatives correspondent au retrait de gaz à effet de serre de l’atmosphère et à leur séquestration par des solutions fondées sur la nature ou par des moyens technologiques.
Sara Shaw, de l’association les Amis de la Terre International, explique que les fausses solutions en lien avec l’objectif de “zéro net” peuvent être utilisées par des pays et des entreprises pour continuer et amplifier l’extraction de combustibles fossiles. Plutôt que de passer à une production d’énergie à faible teneur en carbone ou d’augmenter leur efficacité énergétique, ils se concentrent sur le stockage ou la compensation des émissions, qui selon eux, ne peuvent être évitées. Leurs stratégies reposent alors sur des technologies incertaines ou sur les services rendus par la nature, notamment dans les pays du Sud.
Depuis 2019 par exemple, Shell a investi 100 millions de dollars par an dans des projets de reforestation. Pour Sara Shaw, ce genre de solutions fondées sur la nature ont des impacts terribles dans le Sud : accaparement des terres, monoculture, chute de la biodiversité, épuisement des nappes phréatiques, famine… C’est pourquoi les communautés indigènes, déjà les plus touchées par le problème climatique, contestent ces solutions.
Des outils utilisés contre la transition, au détriment des plus vulnérables
L’objectif de “zéro émission nette” ou les solutions fondées sur la nature ne sont pas un problème en soi. Mais leur utilisation “retarde la prise de mesures concrètes et permet aux entreprises de continuer à exploiter les combustibles fossiles”, explique Sara Shaw.
Dans le contexte d’échanges mondialisés et inégalitaires, ces fausses solutions consistent pour les “grandes entreprises occidentales à continuer à utiliser l’atmosphère comme une poubelle, en utilisant les terres du Sud comme leurs puits de carbone”, regrette Dipti Bhatnager, coordinatrice au Mozambique pour les Amis de la Terre. “Les fausses solutions s’ajoutent aux problèmes et dévastent plus de vies”.
Mais quelles sont les vraies solutions au réchauffement climatique ?
Sont bonnes toutes les solutions qui diminuent l’impact des activités humaines plutôt que de les compenser, toutes celles qui touchent aux causes plutôt qu’aux conséquences. Il s’agit donc d’adopter des politiques publiques pour changer les comportements humains, pas celui de la nature. Par exemple, le dernier rapport du Shift Project propose cinq axes pour décarboner la mobilité en Vallée de la Seine : transports en commun, vélo, covoiturage, distribution des achats et télétravail.
A une échelle plus grande, Dipti Bhatnager, a présenté différents principes à adopter pour permettre la transition écologique et sociale.
La solidarité comme fondement moral
Le modèle de valeurs doit d’abord changer, et la morale être pensée séparément de ses propres intérêts. Ce qui devrait primer n’est pas la réalisation de soi, mais l’épanouissement de chacun dans un tout social et environnemental. Il faut refuser qu’en raison de leur naissance, certain·e·s soient systématiquement exploité·e·s au profit d’autres. Dipti Bhatnager parle ici des populations des pays pauvres dans un système néolibéral et des femmes dans un système patriarcal. Elle insiste sur l’attention et les soins apportés par les femmes, qui devraient être valorisés. En tant que fondement moral, la solidarité est une solution à la crise climatique.
Lever les obstacles économiques et financiers
Suivant ce changement moral qui a toutes les chances de rénover nos démocraties, il faut ensuite lever les obstacles économiques et financiers à la transition. Cela signifie notamment démanteler le pouvoir excessif des grands groupes privés. Il faut rendre les entreprises responsables aux niveaux local et international. Dipti Bhatnager mentionne notamment une initiative visant à faire payer les entreprises les plus polluantes, d’après une feuille de route engageant leur responsabilité.
Il s’agit aussi de supprimer les mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE). Ces mécanismes permettent à des investisseurs privés de poursuivre les États qui agissent contre leurs intérêts, et bloquent la transition. Au contraire, les moyens financiers doivent servir directement la transition, notamment dans les pays du Sud.
Valoriser ce qui fonctionne, construire des solutions globales
Enfin, Dipti Bhatnager insiste sur l’importance de valoriser ce qui fonctionne déjà dans l’organisation sociale, dans une approche systémique. Elle entend par exemple “s’appuyer sur les systèmes agro-écologiques et alimentaires paysans et la gestion communautaire des ressources naturelles”. “Les petits exploitants agricoles nourrissent actuellement 70 % de la population mondiale” rappelle-t-elle.
Comme le montre l’exemple de l’alimentation, le changement climatique n’est pas qu’un problème technique isolé. “Il ne s’agit pas d’un problème de concentration en dioxyde de carbone dans l’atmosphère, mais de la vie humaine”. Il ne s’agit pas de lutter contre une crise unique, mais de construire une réponse adaptée aux crises sociales, écologiques…
Mais la réaction au changement climatique reste malheureusement ancrée dans le récit linéaire de la conquête. “Il faudrait changer cela et interroger notre relation aux autres et à l’environnement”, conclut Gopal Dayaneni avec espoir. Et il en faut, car c’est le désespoir qui mène aux fausses solutions.
Article rédigé par Gabriel Goll, membre de l’équipe qui suit l’actualité en lien avec la COP26.