Lors de la COP26 en novembre 2021, et lors des intersessions du 6 au 16 juin à Bonn, la question des pertes et préjudices était un sujet qui revenait beaucoup. En effet, on entend beaucoup parler de cette question notamment vis-à-vis des fameux 100 milliards de dollars que doivent les pays du Nord aux pays les plus vulnérables. Où en est cette question actuellement et pourquoi est-elle si importante ?
Les pertes et préjudices, késako ?
Les pertes et préjudices (Loss and Damage ou L&D) représentent les effets négatifs irrémédiables des changements climatiques auxquels les différentes populations n’ont pas pu faire face par l’adaptation ou l’atténuation. L’adaptation au changement climatique regroupe les démarches, mesures et stratégies pour faire face aux conséquences déjà présentes du changement climatique. L’atténuation, c’est limiter les causes du changement climatique, il s’agit principalement de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère.
Concrètement, les pertes et préjudices représentent d’une part les impacts lents du changement climatique. Parmi eux, l’acidification des océans, la montée des eaux (et donc la disparition de certains territoires et pays). Et aussi les événements météorologiques extrêmes soudains et récurrents. Tous ces phénomènes touchent plus ardûment les pays du Sud. De nombreux pays vulnérables font déjà face à ces catastrophes sans pouvoir y répondre financièrement. Au contraire, les pays du Nord peuvent plus facilement répondre à ces intempéries et dédommager leurs populations. En 2021, lorsque l’Allemagne avait subi d’impressionnantes inondations, l’État a débloqué une enveloppe de 30 milliards d’euros.
Quel lien entre les pertes et préjudices et la justice climatique ?
La justice climatique se définit par “les mouvements politiques, éthiques, moraux ou faisant appel à la justice, et qui se rapportent à la question de l’égalité face au dérèglement climatique”. On parle de justice climatique car nous ne sommes pas égaux face au changement climatique, ni à la manière d’y répondre.
D’après les derniers rapports du GIEC, l’intensification de certains événements météorologiques extrêmes sont directement liés au changement climatique, lui-même anthropique. Cependant, tous les États n’ont pas la même responsabilité vis-à-vis des émissions de GES. En effet, les pays les plus développés actuellement ont pu arriver à ce développement grâce à la révolution industrielle qui fut marquée par une exploitation massive des énergies fossiles. Mais ces énergies fossiles émettent des GES mettant plusieurs décennies à disparaître de notre atmosphère. La quantité cumulée de dioxyde de carbone (CO2) par ces États depuis la révolution industrielle est donc directement liée au réchauffement actuel de 1,1 °C. Ces pays développés ont donc une “dette historique” vis-à-vis des pays les plus vulnérables qui n’ont pas pu se développer au même rythme en usant des mêmes ressources.
Au-delà de cette dette historique, les pays du Nord et les pays du Sud ne consomment pas de la même façon. Si toute la population vivait comme un.e Français.e moyen.ne, il faudrait 2,7 planètes Terre pour avoir suffisamment de ressources. Les États-Unis sont à 5 planètes Terre, tandis que l’Inde est à 0,7. Les pays du Sud ont donc une implication moindre et sont pourtant les premiers à devoir y répondre. Nous l’avons encore constaté il y a quelques semaines avec les fortes chaleurs qui ont frappé l’Inde et le Pakistan, atteignant jusqu’à 50°C. Alors oui, en France aussi, nous faisons d’ores et déjà face aux canicules me direz-vous, mais nous n’avons pas la même capacité à nous adapter à ces phénomènes..
Prenons l’exemple de la montée des eaux. Rotterdam, aux Pays-Bas, est une ville extrêmement sujette à disparaite face à la montée des eaux étant donné qu’elle se trouve à six mètres en dessous du niveau de la mer. Face à ce constat, de nombreu.ses.x inégénieur.e.s réfléchissent à un barrage, à l’image de celui déjà construit et capable d’éviter les inondations maritimes. De nombreux fonds sont alloués à ces projets qui leur permettront peut-être de s’adapter. A côté de cela, l’archipel Kiribati est condamné à disparaître à cause de la montée des eaux. Malgré les nombreux appels au secours lors des COP climat, aucun fonds suffisant ne leur a été alloué et leur État est donc condamné à disparaître sans savoir ce qui adviendra de sa population.
Les pays les plus vulnérables ne peuvent donc pas répondre seuls au changement climatique, dont ils sont finalement moins responsables.
Quelle est la place des pertes et préjudices au sein des négociations internationales ?
Les pertes et préjudices ont été pour la première fois mentionnés au sein de la Conférence Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) par les Petits États Insulaires en 1991. Les Petits États Insulaires représentant un regroupement de 39 États qui comprend notamment les Maldives, Tuvalu, Haïti, et bien d’autres encore. Pourtant, même si cela fait plusieurs décennies que ces pays vulnérables se battent pour obtenir une compensation face à ces pertes et préjudices, aucune compensation financière n’a été versée pour le moment.
Au sein de l’organe complexe de la CCNUCC, il existe plusieurs mécanismes pour répondre aux pertes et préjudices.
Lors de la COP21 à Paris, les différents États signataires se sont engagés à financer davantage les pertes et préjudices, arrivant donc aux fameux 100 milliards de dollars par an. Ces fonds devaient être alloués aux pays les plus vulnérables à partir de 2020. Seulement aujourd’hui le palier est bloqué à 80 milliards de dollars. Lors de la COP26, les pays les plus vulnérables se sont donc mobilisés pour tenter de mettre cette question de financement au centre des discussions, et ce sans succès. Au lieu de trouver de nouveaux fonds à allouer aux pays les plus vulnérables (et noyer le fish), les États se sont mis d’accord sur la mise en place du dialogue de Glasgow, qui a commencé pendant ces intersessions.
Durant ces intersessions a donc commencé le dialogue de Glasgow. Ce dialogue aménagé entre les parties signataires de l’accord de Paris doit durer deux ans. Il a pour but de discuter les modalités de financement des activités qui visent à éviter, minimiser et traiter les pertes et préjudices. Pour le moment, les 100 milliards ne sont toujours pas trouvés, et les pays les plus vulnérables qui font d’ores et déjà face aux changements climatiques n’ont plus la patience d’attendre ce financement. Dans les salles de négociations, une grande tension règne donc entre les pays du nord et les plus vulnérables (LDSCs, AOSIS, G77) soutenus par une majorité des ONG présentes. En effet, d’un côté les pays les plus développés scandent qu’ils donnent déjà suffisamment d’argent (se renvoyant donc clairement la balle), et les pays du Sud soulignent l’urgence de la situation sociale et climatique.
Durant la COP27, la présidence est attribuée à l’Égypte (qui fait partie du G77), elle devrait donner au sujet des pertes et préjudices une place importante. Mais ceci est loin d’être gagné étant donné la tournure des intersessions, et la difficulté qu’ont eu les États à se mettre d’accord autour du dialogue de Glasgow (qui n’a d’ailleurs pas abouti). De plus, le dernier mécanisme pour répondre aux pertes et préjudices est toujours en cours de discussion pendant ces derniers jours d’intersession.
Le programme de Santiago vise à créer une assistance technique avec l’aide des organisations, des organismes, des réseaux et des expert.e.s pertinent.e.s. Ceci devrait particulièrement aider les pays les plus vulnérables à faire face au changement climatique, sans pour autant être suffisant aux yeux de la société civile. Même si les discussions sont encore en cours, celles-ci devraient difficilement aboutir étant donné le désaccord profond qui règne toujours entre les pays du Nord et les pays du Sud.
Rendez-vous donc à la COP27 pour voir ce qu’il adviendra du sujet des pertes et préjudices !