Les villes et leur développement durable à la COP 26, l’expérience d’une observatrice

Quand j’ai répondu à une annonce trouvée sur LinkedIn un peu par hasard, je n’imaginais pas une seconde que j’allais vraiment partir à Glasgow pour assister à la plus grande conférence internationale sur le réchauffement climatique. Du haut de mes dix-neuf ans, forte de trois ans d’activisme au niveau local, à Montréal puis à Reims, j’avais bien sûr entendu parler des COP à de nombreuses reprises (surtout de la COP 21, survenue quand j’étais au collège), mais je n’imaginais pas réellement leur fonctionnement, de leur aspect très procédural à la présence d’une multitude d’acteurs de tous horizons.

Durant la COP26 j’ai voulu suivre de près les enjeux urbains. D’un point de vue personnel, j’ai toujours vécu dans de très grandes villes, et je me sens donc concernée par leur mutation au sein de la thématique plus large du développement durable. Au-delà de ces aspects plus historiques et sociologiques, les villes sont bien évidemment un acteur clef dans la transition écologique, puisque ce sont des localités extrêmement polluantes comparées au milieu rural, et qu’elles sont également en première ligne pour ressentir les effets du réchauffement climatique. 

Les villes, coupables et victimes des dérèglements climatiques

“Le moment depuis longtemps prévu est arrivé, où le capitalisme est sur le point de voir son développement arrêté par des limites infranchissables. […] Il est clair que le capitalisme signifie essentiellement expansion économique et que l’expansion capitaliste n’est plus loin du moment où elle se heurtera aux limites mêmes de la surface terrestre.” 

En 1933, la philosophe Simone Weil, dans les premières lignes d’un article pour La révolution prolétarienne, dénonçait les failles d’un raisonnement s’articulant autour d’une priorisation de la croissance économique sans limites au détriment des sphères socio-environnementales, et mettait le monde entier en garde contre la finition imminente des ressources terrestres. Moins de cent ans plus tard, au vu des alarmants rapports des scientifiques, notamment celui du GIEC, nous avons la certitude que ces limites terrestres ont bien été franchies, et ce en effet à cause de l’activité humaine depuis la révolution industrielle. Les villes, véritables concentrés d’activités économiques, représentent dans notre monde de plus en plus urbanisé une représentation physique de l’esprit d’expansion capitaliste évoqué par Weil. 

En effet, cela fait longtemps que le mode de vie urbain est décrié pour son ignorance face à la biodiversité et à la nature. Pour certain.e.s, c’est le fait de s’éloigner du monde sauvage, à travers la construction et l’industrialisation, qui a conduit les personnes citadin.e.s à maltraiter la terre qui les a créés et nourris. Au milieu du dix-neuvième siècle, Henry David Thoreau, philosophe issu du mouvement transcendantaliste, exprimait déjà le mal-être que lui procurait cette nouvelle culture écocidaire: “Si un homme passe la moitié de ses journées à marcher dans les bois parce qu’il les aime, il est en danger d’être pris pour un fainéant; mais s’il passe sa journée à spéculer, à raser les bois, à rendre la terre chauve avant l’heure, on le considère avec estime comme un citoyen industrieux et entreprenant.

On croirait qu’une ville ne s’intéresse à ses forêts que pour les abattre!” mais aujourd’hui, les dangers liés à l’urbanisation du monde ne sont plus seulement d’ordre philosophique; le double positionnement des villes en tant que coupables et victimes des dérèglements climatiques est indéniable et préoccupant, et nécessite une réinvention de cette sphère qui gagne en importance à chaque jour.

“D’ici à 2050, la population urbaine devrait pratiquement doubler, ce qui fera de l’urbanisation l’un des principaux moteurs de la transformation du XXIe siècle. Les populations, l’activité économique, les interactions sociales et culturelles et les retombées environnementales et humanitaires se concentrent de plus en plus dans les villes, situation qui pose d’énormes problèmes de viabilité touchant notamment le logement, les infrastructures, les services de base, la sécurité alimentaire, la santé, l’éducation, les emplois décents, la sécurité et les ressources naturelles.”

Telle était la description de l’urgence d’un développement urbain à l’image de celle d’une adaptation globale aux dérèglements climatiques imminents énoncée dans la Déclaration de Quito sur les villes et les établissements humains viables pour tous, dont la résolution a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 23 décembre 2016. Presque cinq ans plus tard, à la COP 26, le sujet de la ville de demain est revenu régulièrement sur la table. Un jour y était même consacré, en ce qui concerne les événements périphériques liés aux Cities & Built Environment.

Globalement, on retrouve le même constat glaçant, que l’architecte urbaniste Albert Lévy soulignait aussi dans un article du Monde sorti fin novembre 2021 : les villes sont toujours les principaux émetteurs de gaz à effet de serre. De nombreuses raisons expliquent ce phénomène: activités industrielles, circulation des automobiles, manque de couverture végétale, consommation de biens à grande échelle couplée avec une forte densité de population, construction…

Mais si les villes sont aujourd’hui responsables de la grande majorité des émissions de gaz à effet de serre, elles sont aussi grandement menacées par les conséquences écologiques de leur activité. Par exemple, la tendance à la littoralisation que nous pouvons observer au niveau global fait écho aux menaces qui pèsent sur les côtes, comme la terrible promesse de catastrophes naturelles maritimes (tsunamis, ouragans, etc.) toujours plus fréquents et plus forts ou la montée des eaux qui risque de créer de nouvelles Atlantides. En bref, les enjeux urbains sont en fait cruciaux dans la planification pour lutter contre le réchauffement climatique à long terme, et c’est avec beaucoup de curiosité et d’enthousiasme que je suis arrivée à la COP dans l’optique d’en apprendre davantage sur ce milieu, autant au niveau des problèmes spécifiques que peuvent rencontrer les localités dans différentes régions du monde qu’au niveau des solutions s’offrant à elles, démocratisées ou non.

La COP 26, une “foire au climat” pour les observateur.rice.s

En tant qu’observatrice, présente à Glasgow du 31 octobre au 4 novembre 2021, j’ai pu assister à un bon nombre de conférences dans les zones pavillonnaires (parmi les side events donc) traitant de ce thème-là. Un pavillon en particulier, celui des Cities and Regions, était spécialisé dans les problématiques urbaines et mettait l’accent sur l’action locale dans différentes régions du monde. Autre initiative qu’il convient de mentionner: celle du C40 Cities Climate Leadership Group, une organisation regroupant les maires de 94 des plus grandes villes du monde (et 6 villes observatrices) afin de réfléchir, ensemble, à la manière de conduire la transition écologique en milieu urbain, qui a, au moment de la COP, organisé une exposition (physique mais aussi virtuelle) qui montrait les enjeux, les projets, et les avancées au sein de plusieurs villes aux quatre coins de la planète, de Los Angeles à Nairobi.

Enfin, les pavillons de différents pays mettaient les problématiques liées à la ville en valeur; je pense notamment au pavillon sud-africain, qui comportait un immense infographique qui présentait les problèmes, infrastructures, et projets en lien avec l’écologie connus par les métropoles du pays. Il était possible pour les visiteur.euse.s, et quelquefois les audiences du monde entier à travers Internet, de s’informer, plus ou moins en profondeur selon les envies, sur le rôle crucial que les villes jouent actuellement dans les émissions de gaz à effet de serre et qu’elles devront jouer dans la lutte contre les dérèglements climatiques. En ce qui concerne l’urgence d’agir au niveau des villes, une première force de la COP 26 était donc liée à la facilité d’accès aux informations clefs concernant les enjeux urbains dans la lutte contre le réchauffement climatique. 

De même, j’ai été agréablement surprise par la diversité des événements proposés aux délégations observatrices, car ils traitaient de différentes thématiques liées au milieu urbain: infrastructures, relations informelles, “villes intelligentes”… il était possible de s’informer sur un paquet d’aspects différents des dynamiques urbaines, tant sur le plan scientifique que social, et de leurs transformations à venir. J’ai particulièrement apprécié la conférence “Urban Informality and Inequality: a Call for Global Climate Justice”, qui avait pour ambition de répondre à la question “à quoi ressemble la nouvelle communauté?”, et qui traitait notamment des questions d’indigénéité, de migration, de pauvreté, et de la nécessité plus large de décoloniser notre approche aux enjeux urbains—une image de la ville bien différente de celle que j’ai pu connaître en étant élevée dans un milieu privilégié en Occident.

Quelles réelles avancées pour le milieu urbain?

Pour ce qui est des réelles mesures adoptées pour agir durablement au niveau urbain, c’est un peu plus flou. D’une part, l’accès aux informations concernant les décisions prises en ce qui concerne les villes est assez limité, puisque cette thématique n’est jamais directement négociée. 

On retrouve cependant, dans le Pacte de Glasgow pour le Climat, quelques décisions ayant un effet direct sur les villes. Notamment, l’adoption de la Déclaration de la COP26 sur l’accélération de la transition vers les voitures particulières et VUL 100 % zéro émission, signée par 43 villes incluant des métropoles majeures telles New York, Buenos Aires ou encore Barcelone, vise à faire en sorte que, d’ici 2040 (et d’ici 2035 dans les “marchés principaux”), tous les (nouveaux) véhicules vendus dans le monde soient zéro-émission. Les décisions prises à la COP 26 influant directement sur le milieu urbain ont à voir avec la question des transports, et donc de problématiques liées à la pollution de l’air. Dans un autre registre, la campagne “Course au zéro”, dont les participants ont l’ambition de réduire leurs émissions de moitié d’ici 2030, ne réunit pas moins de 1049 villes.

Enfin, une autre campagne, “Course à la résilience”, “a lancé un cadre de mesures qui, pour la première fois, permet aux villes, aux régions, aux entreprises et aux investisseurs de mesurer les progrès de leurs efforts visant à consolider la résilience aux changements climatiques des quatre milliards de personnes les plus menacées, d’ici à 2030” (Pacte de Glasgow pour le Climat, p. 24). À voir si ces campagnes, dont l’application n’est pas tout à fait claire, impliquent réellement un changement.

Constatons alors que ces avancées, bien qu’utiles, ne sont pas représentatives de l’ampleur des enjeux climatiques liés aux villes, notamment en ce qui concerne l’aménagement des infrastructures ou encore des problématiques plus sociales, notamment liées à la ségrégation urbaine ou à de potentielles migrations liées aux problématiques environnementales. Il paraîtrait que le champ d’action réservé aux villes soit assez limité, et qu’elles doivent se contenter de campagnes assez vagues et de résolutions adoptées dans d’autres domaines qui ne les affectent qu’indirectement.

Il m’a cependant semblé, à la fois quand j’étais sur place puis quand j’ai lu différents rapports concernant la COP 26 dans les médias, que, malgré un nombre assez limité de réelles avancées pour le milieu urbain au sein des négociations, la présence des villes s’est fait remarquer. En ligne avec un changement progressif de notre perception de la science qui passe d’une vision très occidentalisée à une mise en valeur des savoirs spécifiques propre à chaque localité, les schémas d’adaptation locaux, régionaux et urbains prennent de plus en plus de place. 

Un bilan mitigé: l’hypocrisie du monde politique face à un engagement plus fervent de la population

D’après un intitulé aguicheur du Time Magazine, “si les pays ont apporté de grandes promesses à la COP 26, les villes ont amené de l’action”. Si on a pu en effet déceler une prévalence du discours local, régional et urbain, mes expériences en tant qu’observatrice me poussent toutefois à nuancer ce propos. Quelques souvenirs, pêle-mêle, me reviennent souvent depuis ces quelques jours passés à Glasgow début novembre. Entendre l’expression “road map” être balancée à tout-va sans déceler de réelles avancées derrière. Assister à une conférence sur les infrastructures vertes dans le but de découvrir de nouvelles stratégies de construction, pour finalement passer deux heures à écouter les interlocuteurs constater qu’il faut que les immeubles consomment moins d’énergie (ah?) sans proposer de solution—alors qu’il en existe.

Lâcher un sourire dépité en voyant que le maire d’une ville hondurienne, qui parle de valoriser une proximité et une relation de confiance entre le peuple et ses élus locaux depuis quelques minutes, est cité dans les Panama Papers. Comment prendre au sérieux les initiatives proposées devant tant d’hypocrisie? Entendre tant de discours enflammés de la part d’élus locaux qui ne cachaient derrière pas de réelles ambitions si ce n’est celle de se faire réélire m’a un temps laissée désillusionnée.

Ce qui a été rassurant, c’est de constater que je suis loin d’être la seule à me préoccuper de tout cela. À travers mon travail avec le groupe YOUNGO dédié aux problématiques urbaines, j’ai pu rencontrer d’autres jeunes qui, comme moi, ont à cœur une ville de demain plus saine et plus juste. Dans un monde de plus en plus urbanisé, où la ville attire de plus en plus de jeunes, c’est inspirant de voir que certain.e.s d’entre eux.elles, venant de tous les horizons, veulent être acteur.rice.s de changement dans ce milieu qui en a tant besoin. Si vous voulez aller plus loin, je vous invite à consulter le Global Youth Statement issu de la COY 16, où ce groupe détaille ses ambitions au sujet des villes et de bien d’autres domaines.

À la COP 26 comme ailleurs, finalement, il semblerait que le vrai changement ait fleuri dans les rues. De nombreuses manifestations ont eu lieu, rassemblant des activistes du monde entier; finalement, la cohésion au niveau international pour faire valoir les intérêts de la population en ce qui concerne la justice climatique s’est faite entre ceux qui n’ont pas le pouvoir, à leur niveau, de prendre les décisions—un fait assez déplorable. Cela étant, cette mobilisation de la population à grande échelle est porteuse d’espoir et annonce peut-être une belle occasion pour amener des initiatives de changement, par la force des nombres et de celle des voix qui se sont élevées à Glasgow et bien ailleurs.

Article rédigé par Joséphine Bertoux

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